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Zhuhai : La chronique OAK Racing par Rémy Brouard, part 4

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Dimanche 13 octobre : « Salle des prières ». 

 Collé aux oreilles, la radio du team OAK Racing-Total nous permet de nous connecter entre nous dans un monde secret et fermé, seulement connu de quelques initiés. Merlin est au micro avec les pilotes et le reste du Team. Léo, le Chef mécano, prend quelques fois la parole, au moment du démarrage de la voiture sur la grille ou encore avant chaque arrêt. « PAB » très rarement. Tous les autres sont en mode « écoute ». C’est aussi mon cas tout comme Jacques.

 Départ de la course : Personne ne bronche.

 Pas un mot, pas une mouche n’oserait voler dans le stand de peur d’en prendre une! Le temps de diriger gentiment (et avec respect) nos invites chinois vers leur loge privative (sans cela, ils auraient fini par s’asseoir sur les pneus de la Morgan très certainement!). Chacun prend sa place devant les différents écrans de contrôle. Tous habillés chaudement, gantés et radio sur position “on”.

 Le stand OAK Racing-Total est maintenant complètement vide. Au fond dans l’arrière cuisine et comme on pourrait le croire, Merlin ne prépare pas la célèbre “potion magique” mais inscrit « sans arrêt » des chiffres sur son claviers géants. Steven fait de même avec des datas du moteur. Des vrais chaddocks ces deux-là!

 Avec eux, pas un seul moustique ne passerait entre la voiture et le moteur sans que l’on ne le connaisse  son signe zodiacal et sa date de naissance.  Je suis admiratif de ces ingénieurs « ingénieux » même si je voue une admiration plus importante encore à l’imprévu. Comme dans Apollo 13, les ingénieux travaillent de pair avec les autres autour d’eux au succès de la mission.

 Si un de nos pilotes fait le moindre écart, le plus petit coup de volant imprévu, un changement de vitesse trop tôt ou trop tard, un pied trop longtemps posé sur l’embrayage, un coup de frein trop tôt, une température des pneus trop basse ou des freins trop chauds (existera-il un jour un capteur pour la température des pieds du pilote? ), Merlin et son acolyte britannique  Steven voient tout !

 Mais comme ce ne sont pas des « cafteurs » ils le gardent pour eux  et parlent en data-reporting (plus compliqué que le catonnais). Dans ces conditions on pourrait croire que c’est le dialogue permanent entre stand « tour de contrôle » et notre voiture quasiment au milieu de désert de Gobi. Un dialogue à l’italienne, en quelque sorte du genre “Opéra Del Arte” un jour de répétition sans pâtes au pesto.

 Et bien détrompez-vous. Pas un mot. Pas un appel du pilote. Rien ….Nada. J’ai bien compté 10 tours avant une première question du pilote sur son rythme. En réponse et au micro l’ami Merlin est assez exceptionnel. Pas un mot plus haut que l’autre, calme. Rarement plus de cinq mots à la fois. Très distinctivement les uns des autres, de sorte à ce le pilote comprenne parfaitement. ” Copy ” termine les phrases. Un peu comme dans le sketch de Muriel Robin Avec “J’imprime” … Voyez-vous.

JN et RB sur la grilleMerlin et Steven se parlent quelques fois durant ces trois heures de course. Un doute sur une température, une confirmation. Un voyant presque rouge. « PAB » est au milieu et observe. Il se tient toujours prêt en cas de décision à prendre ou à concerter. Les mécanos, Jacques et moi-même sommes tous dans les transats derrières eux. Comme dans une mêlée au rugby qui attend l’arrivée du ballon ovale. Il fait très chaud mais nous ne donnerions notre place pour rien au monde. Nous ne perdons pas une miette de la course qui se passe devant nos yeux. La TV  chinoise retransmet enfin la course. Il était temps. Nous sommes au moins au 15e tour.

 Après Inje et Fuji et inhabituellement, David Cheng creuse l’écart sur John Winslow qu’il affronte généralement  lors de ses relais.

Celui-ci semble cependant limiter l’hémorragie vers le fameux 10e tour (26 secondes au compteur). David commence à rattraper les GTC en bagarre  et prend plus de sécurité à les dépasser (trop peut-être). Il perd maintenant 0.6/ 0.8s par tour. Son avance fond au fur et à mesure que nous nous rapprochons de son arrêt prévu à la 47e minute. Fatigue, stress, chaleur, les trois ? David aurait du rentrer avec un gap de 10 secondes environ. Suffisant à nos yeux. Mais il nous informe au micro « calmement » être passé  dans l’herbe en retirant un tire off récalcitrant. Pas de dommage sur la voiture mais le palpitant prend 140 quand même. Les deux  LMP2 arrivent donc ensemble aux puits!

refueling Changement de Pilote et full gazoline.

 Les deux voitures repartent avec 4.5s d’écart. Shaun Thong,  17 ans face à Jordan Oon 19 ans. Nous ne sommes pas à regarder une course sur le web ou sur un concours Playstation mais bien au milieu d’une  vraie course badgée  Le Mans en chine.

 À ce jeu-là, notre petit nouveau « enquille » d’entrée. Environ 1 à 1,5 secondes au tour. Les 13 tours d’essais ce matin au warm up de Jordan ne semblent pas lui avoir permis de prendre totalement  son ORECA 03 en main. L’écart monte comme un thermomètre un jour de grippe aviaire. 45, 46 secondes …

Là aussi pas un mot, pas un signe de suffisance, pas un sourire français presque moqueur…

 À mi-relais, et après 25 mn, Shaun demande si tout va bien. Merlin a compris et le rassure ” good job Shaun” continu comme cela. Durant trois tours et seulement trois, l’ami Shaun souffre et la belle machine soudainement  se dérègle.  Nous avons dépassé la distance habituelle de ses courses de FR 2.0. Il  parle mais on ne comprend rien, faiblement et sans énervement cependant. Sans s’inquiéter une seconde. Merlin le rassure de nouveau. « Tes chronos sont bons  Shaun et ton écart sur KCMG est de 46 secondes » continue comme cela. « Copy »

salle de presseEt comme au cinéma, les chronos repartent dans le bon sens (au moment où John Wayne arrive au galop). Preuve que  la psychologie de la course permet quelques fois de répondre sans comprendre la question ! Son père, derrière moi, sourit. Lui aussi a compris qu’à 17 ans on a besoin de confiance pour assurer un relais avec 500cv sous le capot durant près de 50 mn.

 Le gamin gère parfaitement l’usure prononcée de ses pneus. Il rentre comme prévu dans la voie des stands. Sans pouvoir changer quelques chose, je lui indique au loin, notre stand et avec de grands battements d’aile avec mon bras droit l’ordre  de ralentir au moment de s’engouffrer dans le repérage au sol  de notre stand. (un truc , semble-t-il pas dans le « manuel du team  » me dira « PAB » après la course, rire moqueur en coin). J’avais gardé un très mauvais souvenir de Corée et de nos deux pénalités pour vitesse dans les stands sans doute ….

 Mais Shaun est un bon élève à école (Université en GB). Il écoute et s’arrête parfaitement au centimètre prêt face aux tuyaux d’essence. Ho-Pin est déjà dans la voiture sanglé par Merlin (En cdi à ce poste !). Les pneus sont déjà posés au sol et en attente. Les deux refueleurs reculent et le ballet des pneus commence. « PSHIIIT » Remise sur ses pneus, Moteur ! Et la voilà qui décolle pour la sortie des stands sous les ordres de Léo, patinant à peine sur ses pneus arrière neufs. OAK vient de reprendre dans les stands la bagatelle de 23 secondes à son adversaire qui est sur la même tactique. Soit pneus/ pilote /essence.

Oaky vainqueurAjoutons le gap en piste creusé auparavant par Shaun et voilà l’ami Ho-Pin pourtant prévu au dernier relais pour lancer la contre-attaque sur Fort Apache (toujours avec John Wayne) déjà avec plus d’une minute d’avance sur le jeune et talentueux Gary Thompson. Un gouffre à ce niveau-là ! Le meilleur temps au tour ne résiste pas longtemps. Ho-Pin envoie du lourd. Histoire certainement d’enterrer profondément les derniers espoirs de nos adversaires.

Jacques a dû filer prendre son bateau puis son avion pour Tokyo et Fuji mais il attend des nouvelles. Paris et le Mans me demandent déjà des infos (sont-ils déjà debout ?)

 Généralement et  jusque-là, j’informais l’équipe communication OAK Racing restée en Europe par SMS du déroulement de la course,  ainsi que Jacques et Sébastien. Une certaine manière de vivre la course en live pour eux  et de se déstresser aussi les doigts durant 3 heures pour moi. Je m’aperçois qu’aujourd’hui que  j’ai oublié tout le monde !!

 SMS 1 : Désolé pour l’interruption momentanée du son depuis le début de notre émission, dû a un mouvement de grève sur France 2 (cela va-t-il les détendre ?) Pas sûr !!

 SMS 2 : Reste 50 minutes de course, Ho-Pin : 57  secondes  d’avance  sur Thompson.

 SMS 3 : Splash essence dans 2 tours…

 SMS 4 : Pas un splash mais un plein complet, reste 37 mn de course. KCMG entre dans la pitlane aussi.

 SMS 5 : Ils nous ont repris 4 secondes ce coup-ci. (Un refueleur débutant aurait fait les carreaux et les phares avant de repartir?)

 SMS 6 : Reste 35 mn de course Ho-Pin assure (un « doute » sur la boîte de vitesses). Il a 46 secondes d’avance.

 SMS 7 : Ho-Pin en 1.32.7, Thompson en 1.32.1

 SMS 8 : Reste 20 mn. 38 secondes d’avance.

 SMS 9 : Reste 12mn. Nous sommes tous en salle de prières!  (Sylvie Nicolet me confirme faire de même depuis un temple bouddhiste au Japon, en réponse !)

 SMS 10 : La nuit tombe. Reste quelques minutes. 48 secondes d’avance.

 SMS 11 : C’est fait !

podium ZHPour la 1er fois,  trois chinois sont sur un podium d’une course FIA et le Mans avec une Morgan LMP2 motorisé par un Judd.

 L’équipe court vers le muret des stands puis vers le podium.  Les sourires sont de mise. Tout le monde est fier comme un bar-tabac.  C’est le 13 octobre aujourd’hui, le jour anniversaire de ma seconde fille Angélique, qui m’avait promis que cela nous porterait chance ici. Mais Cela fait 24 ans qu’elle me porte chance. Et c’est aussi le numéro de notre voiture.

 7 garçons dont 2 porte-drapeaux, 3 pilotes,  un anglais et un Épicier- commercial-chroniqueur devraient faire une très belle fête ce soir, mais avant  :  Podium, parc fermé, nettoyage de la voiture,  conférence de presse, interview des pilotes, communiqués à envoyer, démontage du stand, photos à faire, champagnes à boire, sourires et tapes dans le dos. Le « groupe » reprendra plusieurs fois (suite au rappel du public Chinois ??) la chanson “Odessa”.

photo 1Avant la fête attendue, ce sera une grande séance de rangement de tout le matériel jusqu’à 2 heures du mat’… Pieds cassés en mille morceaux et bras en compote Andros. On refait avec Merlin 10 fois la course, tous les deux assis sur les caisses de rangement un œil déjà sur Sepang et son circuit F1. Le container doit être terminé  avant demain matin !  Il fait nuit noire sur tout le circuit maintenant.

image001Je parie qu’Oaky est déjà parti se coucher  avec notre grid-girl ! Sacré mascotte ce Oaky! Il nous a quand même porté  bonheur « l’asticot ».

 RDV en Malaisie début Décembre.

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