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Saga Henri Pescarolo : son avis sur le sport auto en France

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Pour ce deuxième volet de notre entretien avec Henri Pescarolo, il nous semblait incontournable de revenir sur la situation déplorable du sport automobile en France…

Henri, le championnat de France GT connaît pas mal de difficultés actuellement, que pensez-vous du fait que son calendrier comporte des manches à l’étranger ?

« Ce n’est pas nouveau qu’un Championnat de France aille rouler à l’étranger. On le faisait nous aussi sauf que chaque pilote marquait des points dans son championnat respectif. En France, la locomotive était le Championnat de France F3. Au final, cela faisait un Championnat d’Europe sans en avoir le nom. A cette époque, il y avait la F3, la Production, Le Mans et pas grand-chose autour. Avec la Formule 2, tout était tracé. C’était la première confrontation des pilotes de F1 avec des jeunes. Nous avions des formules de promotion dans chaque pays. En F3 et F2, il y avait une rencontre face aux pilotes de F1 avec en parallèle des courses de Production. Au Mans, la grille de F1 était là. »

Henri_F3Les hautes instances ont laissé filer les choses ?

« La FIA a délaissé l’organisation des différents championnats, exception faite de la F1. Stéphane Ratel domine le GT et il faut aller en GP2 pour accéder à la F1. »

C’est aussi le cas en France ?

« La France a suivi le même chemin. La filière Rallye avec Citroën et Peugeot fonctionne toujours, mais la monoplace a été abandonnée. On peut d’ailleurs noter qu’il y a un abandon total du sport automobile en France. Est-ce que les MitJet doivent être l’avenir ? Je n’en sais rien…

A côté de cela, l’Automobile Club de l’Ouest a mis en place une vraie filière Endurance. Les organisateurs ont mis sur pied des championnats avec LM P3, LM P2 et LM P1. Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux que ce soit une fédération qui s’implique dans l’organisation ? La FFSA a toujours été dirigée par des gens qui aiment le rallye. »

Il y a aussi un problème d’argent…

« Pourquoi il y a une classe GT-Am ? Tout simplement parce qu’il n’y a plus personne pour payer. On parle tout de même d’un sport de haut niveau. On ne trouve pas un seul amateur au départ d’un 100 mètres. Maintenant, s’il n’y pas d’amateur, il n’y a pas de voiture. C’est aussi simple que cela. Pourquoi on s’intéresse de moins en moins au sport automobile ? Peut-être parce qu’il n’y a plus rien à proposer d’intéressant. La question à se poser est de savoir comment redresser la barre alors qu’il n’y a plus d’argent et que tout est financé par des gens fortunés. Les retombées diminuent. Stéphane Ratel a trouvé un partenaire titre avec un championnat qui tient debout. Il a récolté tous les déçus des autres championnats. Il y a du monde et des retombées. En France, il faut tout reconstruire avec une vraie filière monoplace. La F3 et la F2 entrent en concurrence avec le GP3 et le GP2. »

Pourtant, la France a été à l’origine d’une vraie filière…

« Elf a été le moteur de la Filière où l’idée était bien de créer une section sport-études dédiée au sport automobile. J’ai contacté la FFSA et l’Education Nationale. On devait avoir un vrai cursus allant de la Campus à la F1 en passant par la Formule Renault et la F3. Cependant, Elf a été racheté par Total et nous n’avons pas eu le temps d’intégrer la F3000. C’est alors que j’ai commencé à initier une filière Endurance avec une Courage. La Filière Endurance a duré deux ans avant devenir l’Autosport Academy. Depuis, les choses ont bien évolué et maintenant pour parler sport automobile, il faut parler électrique. Relancer le sport automobile en France passe par une vraie formule de promotion avec un vrai championnat français ouvert sur l’Europe. »

Ce désintérêt est récent selon vous ?

« Pour illustrer ce désintérêt, je vais prendre un cas concret. Lorsque nous avions équipé la Courage d’un moteur Peugeot, le constructeur a eu l’idée de proposer une 607 Pescarolo afin de concurrencer les Allemandes. La voiture devait développer quelque chose comme 300 chevaux. Elle était superbe. Peugeot l’expose au Salon de l’Auto de Paris. Mais Jacques Chirac, alors Président de la République, demande qu’on lui prépare une visite du Salon de l’Auto sans jamais devoir passer devant aucune sportive. Avec cette anecdote, tout est dit. Le sport automobile suit la même voie que l’automobile en général. Pourtant, on oublie que c’est 30% du PIB. »

On est loin des années F1…

« Lors de ma première année de F1, la presse ne jurait déjà que par l’Angleterre. Je dispute le GP de Monaco sur une voiture française avec un moteur français. Je termine troisième en faisant une partie de la course devant Jochen Rindt. Dans le dernier virage, Rindt pousse Brabham à la faute et s’impose. Pourtant, l’article du quotidien L’Equipe du lendemain n’a dit comme seul commentaire de la course que j’avais « emmerdé » Rindt durant trois tours. Déjà à cette époque, le sport automobile français n’était pas bien vu. Malgré cela, les choses ont changé dans le bon sens avec Matra, Alpine et Le Mans. Si les choses ont fonctionné en France à une certaine époque, c’est quasi uniquement grâce à Elf et François Guitter. De plus, les lois Barzach et Evin n’ont rien arrangé en interdisant les pubs pour l’alcool ou le tabac. Ca a rendu les choses beaucoup plus difficiles. Si l’on prend mon exemple, au milieu des années 80, j’avais des marques d’alcool comme partenaires au Dakar, en ULM, au Mans et dans l’aviation…

Henri_Elf_69Il faut se faire une raison que l’automobile est passée de mode. Un autre exemple à ce sujet : en 10 années de Pescarolo Sport, jamais une entreprise de la région ne m’a donné le moindre coup de main ! C’est étonnant tout de même. Le Conseil Général m’a soutenu mais pas une seule entreprise locale… C’est bien le signe de ce qu’il se passe en France par rapport au sport automobile. Quand tu vois, par exemple, ce que fait PRB dans le monde de la voile en comparaison, ça laisse rêveur. C’est une entreprise régionale qui finance un skipper régional. Ils m’ont invité à aller les voir avant le Vendée Globe. Tous les jours durant les deux semaines qui précèdent le départ de la course, ils accueillent entre 500 et 1000 invités ! Visite du bateau, conférence du skipper, etc. Ils jouent le jeu ! Au contraire, il n’y avait pas une seule personne des Pays de la Loire qui était prête à faire quelque chose avec moi. Sincèrement, si on me mettait responsable du sport auto en France, d’une je refuserais et de deux, je n’aurais aucune solution à proposer. »

On voit que le problème perdure actuellement avec une grille GT/LM P3 qui peine à décoller…

« S’il y a une polémique, c’est qu’il y a des raisons. Cela fait une éternité que la FFSA ne fait plus rien pour le sport auto. Si le dossier est entre de bonnes mains, alors ça fonctionnera. Redresser la barre va être compliqué. Avec la Filière, nous avons eu des pilotes fabuleux que l’on a tué en les mettant dans des autos peu compétitives. Les Collard, Comas ou Bernard étaient de vrais diamants. Les Bourdais, Dumas et Tréluyer font partie des perles rares. Sébastien Bourdais est arrivé dans le système F1 Briatore et cela n’a pas fonctionné. Un Franck Montagny aurait fait un très bon pilote de F1, comme Bourdais, Tréluyer ou Dumas. On a sorti de très bons pilotes. »

L’absence de Manu Collard n’est-elle pas un pur gâchis ?

« En raclant les fonds de tiroir, on trouve des fonds pour que Manu puisse tester une Tyrrell F1. Ken Tyrrell a de suite été sidéré par son talent. Dans la foulée, un Néerlandais arrive avec 3 millions et donc, pas de F1 pour Collard. Alain Prost reprend ensuite Ligier grâce à Briatore qui voulait absolument placer Trulli. Prost met en place une sorte de volant. Nous voulions placer Collard qui était alors pilote Porsche. Manu dispute Le Mans sur une 911 GT1 qui était loin d’être la plus facile à piloter. Prost organise le volant F1 pile le lendemain des 24 Heures ! Manu part directement du Mans à Magny-Cours. Trulli avait une saison de F1 derrière lui et Collard un test seulement. Les deux étaient très proches mais Manu a été assassiné après que Prost ait dit qu’il n’était pas au niveau parce que soit disant, il était fatigué. Le lendemain d’une course de 24 Heures ! Si un quadruple Champion du Monde de F1 ne le prend pas, alors qui va le prendre ? Tous ceux qui sont passés chez moi sont devenus pilotes d’usine. »

Y a-t-il eu des projets qui n’ont pas abouti ?

« J’avais une équipe compétitive et j’ai toujours été ouvert à toute proposition. Lorsque Peugeot est revenu en Endurance, j’ai été contacté par Jean-Pierre Nicolas qui dirigeait Peugeot Sport pour préparer ce retour. On a amené tous nos bilans avec des retombées chiffrées. On a ensuite attaqué la technique où je faisais partie de toutes les réunions. Jean-Pierre Nicolas est parti en retraite et Michel Barge est arrivé. Dans le projet, je devais avoir le rôle de directeur sportif. Je voulais juste que l’on utilise mon équipe. J’avais alors dit à la direction de Peugeot ‘vous allez gagner six mois avec mon équipe’. Je suis alors convoqué et on me demande de virer mon équipe. Certes, le programme était fabuleux mais je devenais directeur sportif sans amener quelque chose du passé. J’avais encore une vingtaine de personnes et c’était idiot de gâcher ce potentiel. J’ai refusé le poste… »

Matra_73_LMVotre nom a également été cité pour intégrer les rangs de Nissan en LM P1…

« Là aussi j’étais ouvert mais cela n’a pas abouti. J’ai toujours essayé de me lier à un constructeur. Il faut être intelligent comme un Allemand pour prendre un Joest ou un De Chaunac. Quand Audi a entamé une collaboration avec Joest, ils ont gagné beaucoup de temps. Avec Dome, le timing n’était juste pas bon. Si la crise financière de 2008 n’était pas arrivée, faire quelque chose avec Jacques Nicolet était à l’étude. Pescarolo Automobiles a été créé pour cela. »

Pourquoi ne pas être allé en GT où le coût est moins élevé, voire en LM P2 ?

« Ce n’est pas ma spécialité. Il fallait partir dans une voie où il fallait trouver de l’argent, retrouver des partenaires et je pense que c’est encore plus compliqué qu’en prototype. Avec le recul, c’était peut-être une voie envisageable. Un budget LM P2 est équivalent à ce que j’avais en LM P1 à mon époque. Aller chercher 3 à 4 millions est impossible sauf si on finance soi-même ou si on trouve un pilote milliardaire. De plus, les retombées sont assez minimes. J’avais encore la propriété intellectuelle du nom et en LM P2, le retour sur investissement était nul. Le seul pilote payant que j’ai fait rouler était Harold Primat qui était un très bon pilote avec de vraies valeurs. Christophe Tinseau a accepté le rôle de formateur et l’association a fonctionné. Exception faite d’Harold, j’ai toujours payé mes pilotes. Redescendre d’un échelon dans la vie n’est jamais très positif. A chaque fois que j’ai essayé de repartir, c’était en LM P1 avec dans mes rêves les plus fous, des équivalences correctes… »

Pour le troisième épisode de cette série, nous alternerons le chaud et le froid…

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