Suite des articles de la rubrique du Club des Pilotes des 24 Heures du Mans avec aujourd’hui un pur produit manceau. Lionel Robert était sur le circuit Bugatti les 23, 24 et 25 septembre dans le cadre de l’Historic Tour. Il pilotait une Formule Renault Martini Mk44 préparée par Meca Moteur, le team de Philippe Boespflug dans le plateau de FR Classic dont il est le tenant du titre.
Le pilote manceau a remporté le Volant ACO en 1983, et à son palmarès figurent entre autres faits d’armes, une place de Vice-Champion de Formule Renault 1985 derrière Eric Bernard (année où dans la Promotion couraient également Erik Comas, Jean Alesi, Jean-Marc Gounon, Patrick Gonin…) et sept participations aux 24 Heures du Mans, dont cinq avec le team de Yves Courage.
Lionel a remporté le titre 2016 de Formule Renault Classic, ayant fait une véritable razzia dans la catégorie cette année avec son fils Antoine, le père et le fils ayant remporté les 12 courses du programme, le père étant donc premier du classement et le fils deuxième (avec une première ligne inédite au Mans associant le père et le fils).
Lionel Robert court aussi régulièrement en VHC en VdeV Endurance Series et il s’est imposé début octobre à Magny-Cours au volant de la Lucchini Alfa Romeo qu’il partageait avec Olivier Huez.
Cette rencontre sur ses terres mancelles était l’occasion d’évoquer avec Lionel son passé de pilote des 24 Heures du Mans, mais également le présent et l’avenir.
Lionel, avant que vous ne commenciez à courir, quelles étaient vos idoles parmi les pilotes ?
« Je n’avais pas de pilote préféré. J’aimais bien la course, mais tous les pilotes dont on entendait les noms par l’intermédiaire du speaker des 24 Heures me faisaient rêver, mais pas un en particulier. »
Jeune, qu’est-ce qui vous faisait le plus rêver ? La monoplace ? L’endurance ?
« Je n’ai jamais été un mordu absolu de Formule 1 et, habitant Le Mans, j’avais une attirance toute naturelle pour les 24 Heures du Mans, parce que je connaissais l’épreuve et que, depuis tout petit, mes parents m’y emmenaient. Mais, tout ce qui possédait quatre roues, et même deux, puisque j’ai fait aussi un peu de moto, m’intéressait. Après, ce sont les événements qui t’emmènent vers telle ou telle filière, telle ou telle possibilité. Encore aujourd’hui, je suis tout aussi intéressé par la course de vitesse que par la course d’endurance. Les deux ont des qualités similaires, mais aussi des qualités différentes. »
A quand remonte vos premiers souvenirs aux 24 Heures du Mans ?
« Mes vrais premiers souvenirs, j’avais une dizaine d’années, c’étaient les victoires des Matra aux 24 Heures du Mans. Ce sont mes premiers vrais souvenirs car j’avais mon appareil photo,et j’ai fait mes premières photos tout seul. Evidemment, elles n’étaient pas terribles, mais j’ai une photo où je suis à l’arrivée, quasiment sur le capot de la Matra victorieuse en 1973, et avec le recul j’ai du mal à croire que mes parents m’aient laissé tout seul dans la foule, où tout le monde me dépassait d’une tête…C’était ma première photo, celle du vainqueur en plus, et ça marque…. J’imagine que ça serait plus difficile à faire maintenant, c’est plus contrôlé, l’envahissement du circuit est plus difficile… »
Combien de 24 Heures du Mans avez-vous à votre actif ?
« J’ai été engagé huit fois et j’ai couru sept fois (En 1996, la Renault Spider de Legeay Sports a fait les essais, mais est restée seulement suppléante, NDLR). En 1993 et en 1994, j’ai réalisé le meilleur chrono lors des essais préliminaires du mois d’avril, avec cette particularité en 1994, j’ai piloté les deux Courage C32 officielles et j’ai réussi les deux meilleurs chronos, une première ligne virtuellement toute Robert…J’aurais pu mettre une jambe dans chaque voiture ! »
Votre meilleur souvenir des 24 Heures ?
« C’est toujours difficile d’en ressortir un qui serait vraiment meilleur que les autres…Allez, je vais en citer trois…1986 tout d’abord, c’est ma première course au Mans, je suis un tout jeune pilote, j’arrive de la Formule Renault, des monoplaces qui font 150 chevaux et d’un seul coup je pilote un proto de 600 chevaux, une Groupe C avec un moteur Porsche turbocompressé.
Je suis le benjamin de l’équipe et on me fait rouler en dernier, ce qui est normal, et dès les essais je m’affirme dans l’équipe, si bien qu’on me confie le départ et tout se passe bien, on finit par une victoire de Groupe. Donc, pour une première course, c’était déjà une belle récompense.
Ensuite, par ordre chronologique, ça serait 1990, même si on ne finit que septième, ce qui peut paraître relativement modeste, mais on fait avec l’équipe Courage, mes coéquipiers Michel Trollé et Pascal Fabre. On a fait une course très solide, une année où il y a énormément de voitures d’usine et on finit dans le même tour que la meilleure Toyota d’usine, à un tour de la mieux classée des Nissan d’usine, on est vraiment à la bagarre et on fait une très belle course, ça reste un très bon souvenir avec l’équipe Courage.
Le troisième, c’est 1993, parce que, quand tu me posais la question sur mes idoles de jeunesse, je t’ai dit que je n’en avais pas, mais en 1993, je cours avec Derek Bell, cinq fois vainqueur des 24 Heures du Mans. C’est quand même quelqu’un.
Dix ans auparavant, alors que je n’étais pas encore pilote en 1983, j’étais au Pesage en tant que spectateur très intéressé et je fais des photos, notamment celle de l’équipe Porsche Rothmans et à aucun moment je ne vais imaginer que dix ans plus tard, non seulement je serai pilote aux 24 Heures du Mans mais qu’en plus je courrai avec Derek Bell…”
Votre pire souvenir au Mans, s’il y en a un…
« Pas de pire souvenirs, mais quelques mauvais souvenirs, les abandons, aux 24 Heures c’est toujours triste d’abandonner parce que c’est un travail colossal pour tous les membres de l’équipe, qu’on a enclenché parfois plusieurs mois avant la course, voire même pour certains projets d’une année sur l’autre, qui s’arrête. Donc, des abandons, qui pourraient être évitables pour certains, c’est de la tristesse, des larmes dans les yeux de l’équipe. J’ai connu plusieurs arrivées, mais aussi plusieurs abandons…Comme plus mauvais souvenir, on pourrait peut-être citer la fin de course de 1994, en ce sens que nous étions déjà bien armés.
Quand on parle de l’écurie Courage et qu’on dit qu’Yves Courage a surtout manqué de gagner les 24 Heures en 1995 où il est passé très près de la victoire, mais il ne faut pas oublier 1994, parce que cette année-là les deux autos du team étaient très performantes, avec Alain Ferté qui était sur l’autre voiture, et nous, quand on abandonne avec un problème de moteur -un problème de raccord sur le moteur-, alors que les protos avec des moteurs Porsche n’avaient jamais de problèmes, on est à ce moment-là au classement, après dix heures de course je crois , devant la Dauer Porsche qui va gagner. Donc, ça ne veut pas dire qu’on aurait gagné, mais on était dans le coup. Et cette année-là, en 1994, il n’y avait que six protos qui pouvaient gagner, donc on avait quand même de bonnes chances de gagner, et là, le moteur qui lâche…On avait une très belle équipe, de beaux équipiers, Pierre-Henri Raphanel et Pascal Fabre, c’était du solide, c’était du sûr, mais la mécanique en a décidé autrement… »
Quelle voiture avez-vous préféré piloter au Mans ?
« Sans beaucoup d’hésitation, la Cougar C24S de 1990, parce que 1990, ça correspond à ma première année de Championnat du Monde. Tous les ans, en Championnat du Monde, la réglementation nous imposait des contraintes supplémentaires.
En 1990, on pouvait utiliser une pression de turbo importante pendant les qualifications, la voiture étant donc beaucoup plus puissante, avec le poids normal d’une Groupe C, c’est-à-dire 900 kg, alors que l’année suivante, les Groupe C sont passées à 1000 kg, ce qui a posé d’ailleurs des problèmes de sécurité, pas mal de Porsche notamment ayant eu des soucis, les triangles pliant sous le poids supplémentaire. Donc, en 1990, on avait vraiment une voiture performante, proche des meilleures, et c’était vraiment très agréable. »
Vous avez arrêté votre carrière pendant un bon moment. Qu’est-ce qui vous a motivé pour revenir ?
« Ce qui m’avait décidé à arrêter, c’est alors que dans les années 90 j’avais fait ma place dans le milieu de l’endurance et que je commençais à être assez connu et apprécié en France, que je courais en Championnat du Monde. Puis, en 1992, Max Mosley et la FIA ont décidé la mise en place d’une nouvelle réglementation des moteurs et imposent les 3,5l atmosphériques. Aucun concurrent privé ne pouvait s’en payer, c’est un peu comme si on imposait des moteurs hybrides aux LM P2, où est-ce qu’ils iraient chercher un moteur hybride ? Donc, Yves Courage se trouvait sans moteur et donc sans la possibilité de faire le Championnat du Monde. D’ailleurs, cette année-là, il y a eu très peu d’engagés dans ce Championnat. Je me suis donc retrouvé avec un programme très réduit -peut-être deux courses en Groupe C- et, comme il fallait que je gagne ma vie, je suis allé travailler dans l’industrie, pour pouvoir fonder un foyer et avoir un revenu régulier. J’ai donc travaillé dans l’industrie tout en continuant à courir un peu jusqu’à la fin des années 90 et puis, à partir du début des années 2000, je pensais que je ne courrais plus, j’ai donc continué mon métier dans l’industrie. Il y a une différence à faire entre le milieu de l’industrie tel que je l’ai connu et le milieu de la course. Le milieu de la course donne beaucoup d’affection, de considération en retour ; on gagne des courses, les équipes dans lesquelles je cours sont très heureuses de tout ça , et c’est gratifiant d’avoir ce retour humain, cette communion avec tous les membres de l’équipe. Il y a vraiment beaucoup de sympathie , alors que dans l’industrie, à partir du moment où on te donne un chèque en fin de mois, on estime qu’on t’a tout dit et qu’on t’a dit merci. Cette absence de dimension humaine m’a pesé au fil du temps et la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est en 2007 quand j’ai été licencié pour des raisons comptables. Je faisais gagner de l’argent à la société qui m’employait, donc j’avais une rémunération qui augmentait un peu en conséquence et, à un moment donné, l’employeur a conservé les clients sans me maintenir à mon poste. Donc, une fois parti je me suis sérieusement interrogé et je me suis dit que plus jamais je ne voudrais vivre ça et que à l’âge je voulais vivre avec des gens que j’appréciais et être davantage maître de ma destinée.
J’avais envie de revenir en course automobile et je suis revenu grâce à une rencontre avec José Ibanez qui ne me connaissait pas en tant que pilote mais qui m’a ouvert ses portes et accueilli dans son équipe et qui m’a permis de découvrir le VdeV et de relancer ma carrière de pilote depuis 2008. J’ai donc piloté avec IRS -Ibanez Racing Service- pendant pas mal de temps, avec quelques victoires, et j’en ai été le Team Manager en 2009 en ELMS, quand Ibanez Racing Service a débuté dans cette compétition avec une Courage-AER. C’est ça qui m’a ramené à l’endurance.
Quand a été créée l’Association LR Promotion ?
« Il y a 30 ans, on fête d’ailleurs cet anniversaire ce soir. C’est une association qui m’a accompagné presque depuis mes débuts en sport automobile et qui a été créée par des amis, des sarthois, passionnés de sport automobile et qui avaient envie de me soutenir au moment où j’avais perdu un sponsor important, Gitanes, dans la filière monoplace. Ils ont lancé l’association, au départ c’était surtout pour fédérer les supporters. On a eu jusqu’à 500 adhérents au club et puis c’est devenu maintenant quelque chose qui accueille tous les passionnés de course qui veulent me soutenir, mais aussi d’autres pilotes que nous faisons courir, dont mon fils. On accueille des pilotes, des mécaniciens, des gens qui assurent l’organisation, la logistique pour recevoir nos invités et ça marche plutôt bien. On a de plus en plus d’adhérents, on a l’activité course, mais également l’activité coaching qui prend de plus en plus d’importance. J’ai un jeune pilote, mon fils en l’occurrence, qui marche bien mais je m’occupe aussi d’autres jeunes pilotes ou des moins jeunes. Soit j’organise des stages à la journée, soit je fais l’artisan, et je fais du sur mesure. J’ai suivi une formation à l’Auto Sport Academy qui me permet aujourd’hui d’être entraîneur sportif pour le haut niveau, je peux former un pilote sur le plan du pilotage mais je peux aussi s’il veut aller plus haut lui proposer un programme sportif avant la saison, le suivre sur son évolution sportive en dehors de la voiture, le préparer psychologiquement, le conseiller sur la diététique, le mental, les relations avec les autres membres de l’équipe.”
Votre élève numéro actuellement, c’est Antoine, votre fils..
« Oui, Antoine a 16 ans maintenant. Je remercie la FFSA qui lui a donné une dérogation pour qu’il puisse courir alors qu’il n’avait pas 16 ans, il a juste raté un meeting du championnat. Il a pu débuter un mois avant ses 16 ans et quand Antoine a fait son premier podium j’ai montré au Président le bien fondé de sa dérogation puisque dès sa première course Antoine a terminé troisième…”
Le programme d’Antoine l’année prochaine ?
« Ce qui est sûr, c’est que l’année prochaine, je ne veux plus être l’adversaire de mon fils. C’est un pilote que je forme depuis deux ans pour qu’il progresse, et il progresse, et maintenant je vis assez mal le fait d’être son adversaire. Or, dans le Championnat Historic Tour, nous sommes tous les deux en Formule Renault et moi, quand je fais premier et lui deuxième, de fait je suis son adversaire en le privant de la première place. Donc, l’année prochaine, je ferai en sorte que ça ne se reproduise plus. Cela veut dire par exemple que l’on peut partir, comme c’est probable sur un programme en endurance Proto CN qui nous permettrait d’être équipiers, et non plus adversaires. Après, ça peut être aussi le fait qu’il coure dans un Championnat auquel je ne participerais pas ou alors dans une catégorie différente. Antoine, avec le bagage technique qu’il a maintenant, il faut qu’il roule au minimum en CN ou éventuellement en LM P3. S’il faisait du proto en endurance, ce serait plutôt en VdeV Endurance Series, car c’est un beau championnat, avec un beau plateau, parfois 30 voitures au départ avec des performances proches entre les équipes. J’ai programmé le parcours 2017 de mon élève de cette manière-là, une saison en VdeV. On a déjà positionné les objectifs 2018 sur l’ELMS et les 24 Heures du Mans si les choses se passent bien. L’objectif, c’est qu’Antoine soit à 18 ans aux 24 Heures du Mans, mais ce n’est qu’un objectif pour l’instant. Il faut réunir plusieurs choses, d’abord la poursuite de sa progression en 2017, puis réunir les finances et les partenaires. »
Les 24 Heures du Mans de Lionel Robert
1986 : March Porsche 85G (Lionel Robert/Richard Cleare/Jack Newsum) – 14ème et 1er en GTP
1990 : Cougar Porsche C24S officielle (Lionel Robert/Michel Trollé/Pascal Fabre) – 7ème
1991 : Cougar Porsche C26S officielle (Lionel Robert/Jean-Daniel Raulet/François Migault) – 11ème
1992 : Cougar Porsche C28LM officielle (Lionel Robert/Marco Brand/Pascal Fabre) -Abandon 5ème heure
1993 : Courage Porsche C30LM officielle (Lionel Robert/Derek Bell/Pascal Fabre) – 10ème
1994 : Courage Porsche C32LM officielle (Lionel Robert/Pascal Fabre/Pierre-Henri Raphanel) – Abandon 9ème heure
1998 : Debora BMW C296 Didier Bonnet (Lionel Robert/Edouard Sezionale/Pierre Bruneau) – Abandon 10ème heure