En juin 1980, Michel Bonté écrivait un article pour le quotidien Le Maine Libre qui avait pour titre “La renaissance du Championnat du Monde d’Endurance redonnera-t-elle son lustre aux 24 Heures du Mans ?” Le récent décès du journaliste nous donne l’occasion de remettre en lumière son article à l’heure où le Championnat du Monde d’Endurance est devenu réalité depuis 2012. Retour 36 ans en arrière…
“Enfin ! Enfin, les instances internationales ont pris conscience de leurs errements. Après avoir pratiquement suscité la mort du groupe 6 ou rien fait pour éviter celle-ci, la FISA s’est réveillée.
Les sports prototypes sont passés de vie à trépas l’an dernier, à tel point que la sacro-sainte barrière des 3 litres de cylindrée, instituée depuis 1972, chuta d’elle-même la saison passée. Ainsi, vit-on, aux essais des 24 Heures 1979 la BMW-March en découdre avec un bloc de 3500 cm3 de cylindrée. Un moment historique mais qui consacrait bel et bien la fin d’une époque.
Heureusement, pour la pérennité du sport automobile, quelques organisateurs avaient pris à leur compte la relève de la coupable immobilité fédérale. Ainsi, naquit, en 1978, à l’instigation de l’ACO et de Bill France, le challenge mondial des pilotes d’endurance. John Paul en fut le premier lauréat dans l’indifférence générale. Mais qu’importe, l’idée avait fait son chemin de regrouper quelques-unes des dernières épreuves, d’une compétition moribonde, pour maintenir à flot autre chose que la F1. Les premiers, les organisateurs bougeaient.
Dès 1976, l’ACO avait même été particulièrement bien inspirée quand sur une idée d’Alain Bertaut, fut créée une catégorie nouvelle et propre à la seule course du Mans : les Grand Tourisme Prototype. Depuis, cette idée a fait son chemin suscitant quelques vocations parmi de courageux artisans, mais surtout amorçant un processus qui pourrait bien, dans un proche avenir, déboucher enfin sur quelque chose de plus concret.
C’est à Genève qu’a eu lieu la première réunion de la commission technique mise sur pied par la FISA et dont le but avoué est la constitution d’un championnat du monde d’endurance. C’est le président Balestre, lors de son voyage à Daytona et après une rencontre avec Bill France, le directeur du circuit US, qui avait annoncé l’évènement en février dernier.
Depuis, les choses sont allées bon train puisqu’on sait déjà que six épreuves ont donné leur accord pour cette compétition qui débutera l’an prochain. Pour l’heure, Daytona, Monza, Silverstone, Nürburgring et Le Mans sont partants certains. Une deuxième course est prévue outre-atlantique mais le choix demeure entre Riverside, Sebring et Watkins Glen. Quant aux voitures appelées à marquer des points, on en restera aux groupes 1 à 5 avec extension à l’IMSA.
Notre confrère Bertaut, qui s’est beaucoup dépensé pour que l’endurance ait de nouveau droit au chapitre, expliquait ainsi le pourquoi de cette renaissance : ‘Voilà de nombreuses années que nous prônons ce championnat. Si, enfin, nous sommes écoutés et si toutes les parties prenantes sont arrivées à un premier résultat, c’est que la conjoncture actuelle le permettait. Le creux de la vague, constaté au Mans comme ailleurs, nécessitait une réaction. Cette réaction, favorable à notre projet, est venue en premier lieu des constructeurs. Dans l’affaire, ce sont eux qui sont demandeurs. C’est une bonne chose, mais il importe de ne pas retomber dans les erreurs passées. Car la mort du précédent championnat est d’abord venue d’un règlement usé.’
Ces erreurs, la commission technique endurance tente actuellement de ne pas les répéter et pour cela travaille aux grandes lignes du projet 1982 de réglementation, en plein accord avec les représentants du BPICA (Bureau Permanent International des Constructeurs Automobiles). (…)
Les grandes lignes de cette réglementation ? Difficile, voire délicat, de les divulguer avant l’heure car aucune décision n’est encore intervenue pour cette annexe J82.
‘Néanmoins’, reprenait Bertaut, ‘les travaux en cours permettent de penser que les futurs textes comporteront trois grands groupes : A les grandes séries, B les tourismes améliorées, C les prototypes.’
C’est bien sûr, cette dernière qui nous intéresse au plus haut point puisque ce sera celle appelée à servir de contrepoids à la tentaculaire Formule 1.’Il y a place pour deux, si l’on en juge par les premières réactions des grands constructeurs. D’ailleurs, pour respecter ceux-ci et en cas de développement du championnat d’endurance dès la première année, nous tiendrons compte, pour ce championnat, des trois pôles des constructeurs : Asie, Europe et Amérique. Nous demanderons donc une extension à 8 ou 10 épreuves (contre 6 en 1981) dont une au Japon, une au Canada et une troisième en Europe pour le cas où Spa, qui est candidat, trouverait un arrangement avec son groupe 1 Production.’
Mais ce qui rassure le plus l’ACO et son porte-parole à la commission technique, c’est que le fameux groupe C, appelé à disputer le championnat, correspond, trait pour trait, à la définition GTP propre à la course sarthoise. (…)
La base GTP acceptée, comment mettre un terme à l’escalade constatée dans tous les domaines et si néfaste à l’équilibre souhaité entre petits et grands constructeurs. Bertaut répond : ‘on ne refera pas les mêmes erreurs que jadis. On ne parlera donc plus cylindrées, mais limite de puissance. Il semble que le seuil des 500 cv, en endurance s’entend, constitue une barrière que personne n’a encore franchie. A partir de ce seuil, donnons aux ingénieurs la liberté totale de s’exprimer. A eux de travailler sur l’équation puissance-consommation. Ce dernier paramètre est devenu très important. C’est un facteur crucial de l’industrie automobile.’
Reste à trouver la bonne technique pour assimiler l’ensemble de ces mesures tout en recherchant, bien sûr, à maintenir le degré de fiabilité. Cette limitation en puissance, mais non en matière grise, aura aussi le mérite de sauvegarder le patrimoine des circuits. L’exemple de la F1 qui, d’année en année, recule les limites de la sécurité, a inspiré au plus haut point les travaux des ‘endurants’. Ce langage de la sagesse (limitation en puissance et en consommation) trouvera-t-il un écho suffisant auprès des constructeurs ?
C’est bien sûr la question que chacun se pose avec, en contrepoint, la nécessaire planification au niveau du championnat des règles propres à chaque organisateur. Mais l’opposition de modèles tels que BMW M1, Porsche 924 ou le travail effectué sur les Ferrari 512 ou 308 laisse à penser qu’on a déjà planché sur le projet 82 du règlement.
Les 24 Heures, du coup, redeviendraient l’un des théâtres favoris d’expérimentation de la construction automobile. L’histoire se répéterait-elle aussi en ce domaine ?”
Même 36 ans après, certains propos de Michel Bonté restent d’actualité…