Avant de participer en juin prochain aux 24 Heures du Mans au volant de la Morgan LM P2 du SRT41/OAK Racing, Frédéric Sausset et Christophe Tinseau étaient présents le week-end dernier au Mans pour courir dans les 4 Heures d’Endurance GT/Tourisme/ LM P3.
Frédéric, quadri-amputé, et Christophe Tinseau, accompagnés de Eric Van de Vyver, le patron de la VdeV Endurance Series, ont tenu en conférence de presse samedi matin, au lendemain des essais libres et peu après les qualifications pour répondre aux questions des media sur cette manche de la VdeV Endurance Series et bien entendu sur les 24 Heures 2016 où Frédéric Sausset se lancera dans une aventure hors du commun.
Frédéric, comment se sont passés les essais avec la Morgan ?
« Très bien. J’ai bouclé une quarantaine de tours, et ce qui était bien, c’est que j’ai tourné dans les deux conditions, sur le sec et sur le mouillé, les deux conditions qu’on peut rencontrer en course. Pendant un moment sur le mouillé, je tenais le troisième temps, la voiture fonctionnait bien, elle est vraiment « facile » à piloter. »
La pluie, le trafic n’ont pas posé de problème ?
« Non, je suis traditionnellement plus à l’aise sur le mouillé, parce que comme je ne pilote qu’avec un seul bras, j’ai moins d’efforts à fournir sur le mouillé que sur le sec. Le trafic, c’est la même chose avec 24 voitures en piste, c’était raisonnable. Les séances d’essais, que ce soient les essais libres ou les qualifications, ont été tout à fait positives. Au niveau du trafic, on est très proche des P3, on est un peu plus rapides que les GT. Moi, ça me permet de m’entraîner aux dépassements, Contrairement à Silverstone où j’avais plus à gérer le trafic qui venait de l’arrière qu’à regarder devant, là c’était bien. Christophe m’avait un peu imposé cela dans ma feuille de route du week-end, c’était de moins regarder dans mes rétros et de regarder davantage devant. C’est ce que j’ai essayé d’appliquer en piste. C’est quelque chose qu’il faut que je travaille. J’ai tellement peur de mal faire et de sortir quelqu’un d’autre que je perds trop de temps à surveiller les rétros et du coup, ça se ressent sur les performances. En essayant de moins regarder dans les rétros, j’ai amélioré mes chronos de deux à trois secondes. »
On va parler un peu du Mans…En LM P2, la limite de qualification, c’est 110% du meilleur chrono de la catégorie ?
Christophe Tinseau : « C’est ça, 110% du meilleur temps de la catégorie. L’année dernière, la pole en LM P2, c’était autour de 3’37”, donc ça donne un temps de qualification de 3’58” à peu près. Je ne pense pas que ça aille beaucoup plus vite en P2 cette année, donc ça devrait tourner autour de cette limite. La pole des GT devait être autour de 3’52” (3’54”928 pour l’Aston Martin n°99, en fait), donc ça devrait aller. De plus au Mans, contrairement à Silverstone, on passe beaucoup de temps en ligne droite, aussi pour moi, les 110%, ce n’est pas un souci. En plus, Frédéric aura beaucoup de temps lors des essais, donc je ne suis pas inquiet du tout. »
En parlant de Silverstone, justement, comment s’est passé le meeting ?
F,Sausset : « Cela a été une belle étape de franchie, car j’avais beaucoup d’appréhension, de part l’enjeu, de part le fait que les institutionnels étaient là pour voir comment j’allais me comporter dans la course, en conséquence ça faisait pas mal de pression. Le plateau était quand même extrêmement relevé, ça s’est plutôt bien passé, malgré des conditions atmosphériques très londoniennes ! C’était plutôt positif, même si avec les conditions météo, on a eu moins de roulage pendant les essais, 18 minutes je crois. Le circuit n’est pas tout à fait propice pour quelqu’un qui ne pilote que d’un seul bras, surtout avec un virage à gauche que je ne pouvais pas aller chercher complètement. C’était un peu compliqué, mais c’était un bon entraînement pour la route vers les 24 Heures. »
Que pense Christophe de son élève ?
Christophe Tinseau : « Frédéric dit que, pour lui, c’est un circuit assez compliqué, très rapide, avec des courbes comme Becketts ou Stowe, mais c’est justement une très bonne préparation. Il s’en est bien sorti, et c’est la course qu’il fallait faire avant Le Mans. La moyenne générale à Silverstone est vraiment très élevée, c’est le genre de circuit qu’il fallait à Fred pour s’adapter au Mans. En plus il était mêlé à toutes les autres voitures, à grande vitesse, ce qui était positif. Depuis les essais qu’il a bouclé sur le Bugatti avant Silverstone, il a gagné trois secondes sur le Bugatti en gagnant aussi en assurance. »
Frédéric Sausset : « Ce qui est important, c’est que aujourd’hui, on se rend compte que tout le travail qui a été accompli par tout le monde depuis un an paie,et grâce notamment à Eric Van de Vyver qui m’a permis de rouler en VdeV Endurance Series, où j’ai pu faire mon apprentissage. Il faut quand même se dire qu’il y a à peine quinze mois je n’avais jamais conduit une voiture de course. La formule du VdeV, on m’avait dit que c’était la meilleure formule pour apprendre et aujourd’hui on est tous les deux d’accord pour dire que c’est la meilleure effectivement. Parce que j’ai appris au fil du temps. Je me rappelle la première course à Barcelone, j’ai failli ne pas y aller parce que dans la nuit, je me suis dit « ce truc-là, ce n’est pas possible, ce n’est pas pour moi, qu’est-ce que tu fais là mon pauvre garçon ? » Voilà, et puis on a appris au fur et à mesure et aujourd’hui, se retrouver à être plutôt bien dans le peloton, c’est positif, parce que tout d’abord on a bien travaillé. Christophe, c’est la personne qu’il me fallait pour me faire avancer, tout le monde a travaillé dans le bon sens, aujourd’hui on a une voiture facile à conduire. Quand on échange avec Christophe et Jean-Bernard, tout le monde s’accorde pour dire qu’elle l’est, et ça permet d’avoir des performances correctes. Après, il y a les limites du physique. Quand je suis rentré vendredi soir après avoir fait quarante tours, j’ai bien senti que le bras tirait, mais le grand circuit du Mans, c’est autre chose, avec les lignes droites… »
Les Hunaudières, la nuit, les LM P1, ça ne fait pas peur ? Comment vous préparez-vous ?
« Ce qui me fait clairement le plus peur, ce sont les LM P1. Maintenant, aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir des contacts avec les pilotes de pointe des LM P1, et en tout cas ils m’ont tous rassuré « Ecoute, on est super contents que tu soies là, on t’a vu à Silverstone et on a couru au Mans avec des mecs autrement plus dangereux que toi », donc déjà ça rassure un peu . Après, la pression, elle est là. Courir la nuit, ça ne me gêne pas. A chaque fois que j’ai couru la nuit, j’ai amélioré les temps que j’avais faits dans la journée…L’inconnu, c’est de savoir comment physiquement, même si je m’y prépare de manière très importante, comment mon bras va tenir. On est parti pour faire ce que je souhaitais, c’est-à-dire que je roule au minimum six heures et demie. Si je peux faire plus, je ferai.”
Christophe Tinseau : “En principe, Frédéric devrait faire huit ou neuf relais, ça dépendra. Ce qui est sûr, c’est que Fred veut rouler la nuit. »
Frédéric Sausset : « Faire Le Mans sans rouler la nuit, ça n’est pas faire Le Mans. Il faut le faire au moins une fois. Je ferai au moins un relais la nuit. Je pense aussi que tout le travail qu’on a fait au niveau de la signalisation de la voiture est payant. Quand je suis en piste, on sait que c’est moi, ça fait un peu sapin de Noël, mais au moins quand je suis en piste tous les médecins, les services de piste et les autres pilotes savent vraiment que c’est moi. Benoît Tréluyer m’a dit « quand on voit un éclairage bleu, on sait que c’est toi, donc pas de souci…». C’est bien qu’il y ait ce travail d’identification qu’on a mis en place la saison dernière au cours de la saison du VdeV. »
La Morgan telle qu’elle est aujourd’hui, n’est pas différente d’une autre P2 ?
Christophe Tinseau : « Non, c’est la même auto, elle est un peu plus lourde, ça joue un petit peu sur les performances ; elle pèse 70 à 80 kg de plus qu’une autre LM P2, elle n’est pas plus puissante, mais on a un petit avantage, c’est qu’on a l’ABS. C’est un avantage et un inconvénient, parce que l’ABS, ça n’est pas l’ABS conventionnel, il y a un système qui aide à la pression, donc pour doser, ce n’est pas facile. »
A combien estimez-vous la perte de temps au tour ?
Christophe Tinseau : « Au Mans, je ne pense pas que ce soit aussi pénalisant que ça. Dans la ligne droite, une fois que tu es lancé, ce qui compte, c’est la puissance par rapport à la traînée, ce n’est pas le poids qui va gêner. Au freinage, on va freiner un tout petit plus tôt, pour moi, ce poids supplémentaire, ça passe un peu inaperçu. A Silverstone, dans la séance libre, on se situait en septième position sur quatorze voitures, donc au milieu, sans chercher, ce que je ne fais jamais, à faire un temps exceptionnel. La voiture est bien, je ne vais pas m’amuser à sauter les vibreurs pour faire un temps. »
Jean-Bernards’est vite mis dans le rythme avec la Morgan ?
Christophe Tinseau : « Oui, mais comme ça fait maintenant six-sept ans qu’il fait du GT, il va falloir qu’il perde ses habitudes de GT! Mais c’est un pilote sûr, ce qui est très important, il est régulier, se sent bien dans l’auto, il connaît Le Mans, il a fait huit fois les 24 Heures. C’est important, moi je les ai faites onze fois, donc à nous deux on a l’expérience pour accompagner Fred dans son projet. »
Eric, c’est un honneur d’avoir un pilote venant du VdeV être perçu comme ça…
Eric Van de Vyver : “Quand Fred m’a été présenté et quand Vincent Beaumesnil mais aussi Christophe m’en ont parlé, j’ai tout de suite dit oui, parce qu’en fait le VdeV c’est la bonne école pour faire Le Mans. Il suffit de voir que la semaine dernière à Silverstone les commentateurs se rendaient compte qu’il y avait beaucoup de pilotes qui venaient du VdeV, que ce soit en WEC ou en ELMS. En VdeV, on fait de l’endurance depuis vingt-cinq ans, on forme ces pilotes-là, on est très proche au niveau des circuits, ça va vite, la différence existe au niveau des ravitaillements. Le VdeV coûte moins cher, il y a des courses de quatre, six ou douze heures, donc ça apprend vraiment à aller en ELMS et au Mans. Tout de suite, j’ai cru dans l’histoire de Fred, ce qui n’a pas été forcément facile à mettre au point à cause des licences entre autres, mais ça a été vite. Nous sommes ravis de l’aventure de Fred et on suit ça depuis le début. On est content de l’avoir avec nous au Mans, ce n’est qu’un petit bout du circuit des 24 Heures, mais on est au Mans tout de même ! Je pense qu’au mois de juin tout le monde va suivre Fred. »
Frédéric Sausset : « C’est vrai qu’il y a beaucoup de gens qui nous ont soutenus. Ce n’est pas une aventure solitaire. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice. Ce n’est pas Frédéric Sausset qui a fait tout le boulot, c’est tout le monde au fur et à mesure, pour me faire progresser, pour qu’on puisse rendre crédible cette aventure. La première fois que je suis venu voir Vincent Beaumesnil, il fallait qu’il ait vraiment des tripes pour ne pas dire non alors que je n’étais même pas encore monté dans une voiture. Sans des gens comme Vincent, Pierre Fillon, qui ont dit oui tout de suite, comme Eric pour m’avoir accepté en VdeV, mais aussi Christophe…, ça aurait été impossible. Après, il y a beaucoup de travail. Entre dire « j’ai envie » et faire, ce n’est pas la même chose. Si ces gens-là avaient dit dès le départ que ça n’allait pas le faire, on ne serait pas là aujourd’hui à discuter. Le 19 juin, on aura tous ces gens-là à remercier.”