Les 6 Heures de Spa ont montré si besoin en était qu’une course n’avait pas besoin de la pluie pour nous donner des rebondissements. Les différentes catégories ont réservé bien des surprises aux acteurs et fans du Championnat du Monde d’Endurance de la FIA. Jamais depuis 2012 une course n’avait connu autant de péripéties. Qui s’en plaindra à part ceux qui ont eu maille à partir avec les problèmes. Quand on sait que les 6 Heures de Spa servent chaque année de répétition grandeur nature avant l’ogre 24 Heures du Mans, la manche spadoise a de quoi faire tourner en bourrique les ingénieurs des trois constructeurs LM P1. On a beau se préparer, tout mettre dans l’ordre, faire des briefings et encore des briefings, vérifier chaque boulon de l’auto, c’est toujours la course qui rend son verdict. Elle peut parfois être généreuse mais aussi cruelle. Le mois prochain, la course durera quatre fois plus longtemps qu’à Spa.
Les conditions rencontrées à Silverstone n’avaient pas permis d’établir une vraie hiérarchie et on s’attendait à en savoir plus sur le potentiel des forces en présence sur le toboggan des Ardennes. Sur les six LM P1 au départ, cinq ont connu des soucis techniques et toutes sont rentrées à un moment à l’intérieur du stand. Seule l’Audi victorieuse a été épargnée par les problèmes. Audi et Porsche ont fait le choix du kit ‘low downforce’ contrairement à Toyota qui a gardé son package ‘high downforce’. « La clé de la course sera l’utilisation des pneumatiques » nous confiait Neel Jani à l’issue des qualifications. Avec une température de piste d’environ 40 degrés le dimanche, les gommes ‘wet’ sont restées bien sagement dans les camions.
« Lors d’une course d’endurance, le seul paramètre qui évolue au fil du temps est la température de la surface” rappelait Jérôme Mondain, le manager des programmes Endurance de Michelin. “Le tracé du circuit, les voitures et les pilotes restent les mêmes ! Michelin a donc fait évoluer l’approche classique ‘soft’, ‘medium’ et ‘hard’, car il n’y a aucune raison de proposer aux pilotes plusieurs constructions différentes, qui leur demanderaient d’adapter leur style de pilotage et les réglages de la voiture. » Audi Sport Team Joest et Porsche Team ont opté pour les ‘soft temps froid’ et ‘soft temps chaud’ contrairement au Toyota Gazoo Racing qui a préféré les ‘soft temps chaud’ et ‘soft temps chaud +’. Une décision risquée mais qui s’est avérée être la bonne.
« Le choix des pneus a été déterminant pour prendre la tête de la course, nous avons pris un risque et cela a été payant » expliquait Sébastien Buemi, pilote de la Toyota TS050 HYBRID #5. « La performance des pneus était constante et j’ai donc décidé de doubler mon relais dès le début de la course, alors qu’il était recommandé d’attendre que l’asphalte soit davantage gommé. » Le Suisse a dominé la concurrence jusqu’à ce que le moteur donne des signes de faiblesse. Même constat pour la seconde TS050 qui n’a pas vu l’arrivée. « Nous avons vu des signes positifs en termes de performance, mais le résultat est très difficile à encaisser » lâchait Toshio Sato, président de l’équipe. « Nous avons montré une belle amélioration par rapport à Silverstone. Nos chronos étaient constamment très bons et nous avons été en mesure de mener les quatre premières heures. Malheureusement, les deux moteurs ont été endommagés. Nous devons maintenant voir de toute urgence ce qui est arrivé avant d’aborder Le Mans. »
Porsche Team a aussi bien failli boire le calice jusqu’à la lie, la deuxième place de Dumas/Lieb/Jani relevant du miracle. Dès le 6ème tour, Marc Lieb a été handicapé par un problème de système hybride qui a empêché le trio de défendre ses chances à la régulière, mais les 18 points sont bons à prendre. Moins de chance pour la #1 des Champions du Monde en titre. Timo Bernhard s’est vu contraint de rentrer au ralenti suite à une crevaison qui a endommagé la carrosserie. Huit tours plus tard, nouvelle crevaison à l’avant gauche pour la #1, celle-ci étant la conséquence de la première. C’est ensuite la boîte de vitesses qui a causé des déboires à l’équipe. Durant les crevaisons à l’avant, les roues ont tourné à des vitesses différentes, ce qui a endommagé la 919 Hybrid.
« La manche d’ouverture à Silverstone n’a pas été facile, mais à Spa, c’était encore plus difficile, malgré la 1ère ligne Porsche » soulignait Fritz Enzinger, vice-président LM P1. « Renoncer n’est jamais une option en endurance. En théâtre, on dit que c’est une mauvaise répétition et un heureux présage pour la première. Nous n’allons rien laisser de côté et préparer Le Mans avec minutie. »
« Il est clair qu’aujourd’hui les trois constructeurs exploitent leurs technologies à la limite » confiait pour sa part Andreas Seidl, team principal de Porsche Team.
Malgré la victoire, Audi Sport Team Joest sait que reconquérir le trophée des 24 Heures du Mans ne sera pas facile. « Aujourd’hui, les pilotes, l’équipe et la technologie ont dû faire preuve de réelles qualités d’endurance » déclarait le Dr Wolfgang Ullrich, directeur d’Audi Sport. Si la #8 de Duval/Jarvis/di Grassi a tourné comme une horloge, la #7 a été endommagée sur un vibreur (changement de fond plat), ce qui a occasionné un arrêt de près de 15 minutes, avant un nouvel arrêt pour nettoyer les conduits, puis une pénalité suite à un accrochage.
Avec deux autos dans chaque camp aux 24 Heures du Mans, toutes les cartes sont redistribuées. La 84ème édition n’a jamais été aussi ouverte depuis bien longtemps car plus question de profiter de l’ajout d’une troisième auto. Ce n’est pas pour autant que les pilotes devront en garder sous la pédale car tout retard se paiera cher le dimanche 19 juin à 15 heures. Il faudra partir coûte que coûte le couteau entre les dents et advienne que pourra. Au Mans plus qu’ailleurs, tout peut arriver. Avec des pilotes à bloc et des technologies poussées à l’extrême, bien malin qui peut donner avec certitude le vainqueur 2016.
Les trois constructeurs ont pourtant tous bouclé avec succès des simulations de 30 heures mais la course reste la course. Rien ne remplace la confrontation et les 24 Heures du Mans approchent à grands pas. Audi et Porsche vont aller rouler à Motorland Aragon, Toyota à Spa. Les ingénieurs ont dû faire face à une réglementation qui ne doit plus permettre aux chronos de descendre et on ne doit plus avoir 1000 cv au Mans. Sauf que le métier d’un ingénieur est d’exploiter au maximum le règlement et donc de pousser la technologie dans ses derniers retranchements. Ensuite, aux pilotes de faire le job sur la piste. Pour le moment, les chronos ont plutôt tourné à l’avantage des ingénieurs.
Il y a un an, si on vous avait dit qu’une LM P1 privée ou une LM P2 pouvait terminer sur le podium des 24 Heures du Mans, vous nous auriez pris pour des fous. Pourtant, on ne peut pas exclure cette hypothèse cette année, qui plus est avec des Rebellion R-One équipées de gommes Dunlop qui donnent satisfaction et du moteur AER qui est de mieux en mieux. « Bien sûr que les pilotes commencent à y penser » nous a-t-on confié chez Rebellion. « Cependant, 24 heures, c’est très long et nous allons nous préparer sereinement pour rendre la meilleure copie possible sans faire la moindre projection. En 2013, nous avions une belle carte à jouer et la course a tourné au désastre. »
Que dire des LM P2 qui sont devenues de vraies machines d’endurance toutes aussi bien préparées les unes que les autres et bien pilotées. On assistera au même sprint en LM P2 qu’en LM P1 car là aussi tout retard ne se rattrapera pas. On ne va pas aller jusqu’à dire qu’une LM P2 peut remporter les 24 Heures du Mans mais un podium n’est pas utopique.
Le cocktail circuit de 13 km, course de 24 heures, technologie poussée à l’extrême, pilotage à la limite pour ne pas perdre de temps, trafic en piste et conditions changeantes peut réserver bien des surprises à la mi-juin. Il ne reste que très peu de temps aux trois constructeurs pour affiner la préparation des 24 Heures du Mans et Spa a donné un avertissement…