Trônant en belle place sur le stand Nissan du salon de Genève se trouve cet objet blanc nacré qui n’est pas sans rappeler cet autre objet noir, bouté hors de la piste par une Toyota « à l’attaque » en 2012. Non loin de sa ZEOC RC se trouve Darren Cox, le directeur des sports mécaniques pour Nissan. C’est l’occasion de s’entretenir avec lui de l’avancement de ce projet hors-norme, au sens propre…
Darren, à quel stade du développement de la ZEOD vous situez-vous actuellement ?
« Il s’agit réellement d’un gros défi de notre part. Nous avons pris le pari d’un gros pas en avant sur le plan technologique. Comme vous pouvez le constater en Formule 1, il est difficile de faire fonctionner des systèmes électriques sur de très courtes périodes or nous, nous souhaitons tenir 4 minutes au Mans ! Seulement avec l’apport du moteur électrique… Donc, quel que soit notre niveau d’avancement lorsqu’il sera temps d’aller au Mans, nous pouvons être sûrs qu’il nous aurait fallu une année supplémentaire de développement ! Pour en revenir à notre avancement, nous nous trouvons peu ou prou dans le planning prévu. Nous sommes peut-être légèrement en retard mais nous effectuons des essais chaque semaine. Par exemple, nous avons eu une journée d’essais cette semaine. Nous en aurons trois durant la semaine suivante. Nous disposons désormais de deux châssis. Nous testons les systèmes électriques sur l’un, les évolutions châssis sur l’autre.
C’est un challenge énorme mais nous avons vraiment le plein soutien de Nissan derrière nous et nous faisons tout pour le faire aboutir. »
Si on compare cette aventure à celle de la DeltaWing en 2012, diriez-vous que vous êtes en avance sur le planning ?
« Nous le sommes en effet. Cependant cette voiture est bien plus difficile à développer. Finalement, malgré son apparence, la DeltaWing utilisait une mécanique conventionnelle. La ZEOD est beaucoup plus singulière. Il n’y a strictement aucune pièce en commun entre les deux voitures. Nous sommes confiants pour ce qui est de la partie châssis de la voiture. Mais ce sont les systèmes électriques et la transmission qui nous posent les plus gros défis. Notre transmission est en effet assez spécifique avec le moteur thermique situé d’un côté de la boite et le moteur électrique de l’autre. Ces deux moteurs ne fonctionnent jamais en même temps mais ils transmettent tous les deux leur puissance à travers la boite de vitesses ce qui n’est pas simple à gérer. »
Au stade ou vous en êtes sur le développement de la voiture, êtes-vous certain de pouvoir couvrir un tour complet du circuit du Mans sur le moteur électrique uniquement ?
« Oui, nous le sommes. A combien de reprises, là est tout notre problème… Nous savons que nous pouvons le faire. Le concept marche mais nous devons encore le fiabiliser. »
Vous n’êtes donc pas certains de pouvoir renouveler un tour en électrique sur chaque relais au cours des 24 Heures ?
« Chacun sait qu’il est difficile de faire tenir 24 Heures à une voiture conventionnelle. Nous devons encore travailler pour que notre système soit lui aussi endurant. »
Quelle est la masse de batteries que vous embarquez à bord de la ZEOD ?
« Plus de 100 kg de batteries. »
Pour une puissance électrique de quel ordre ?
« 330 chevaux en électrique. 400 en thermique. »
Et la masse totale du véhicule ?
« Environ 700 kg avec le pilote à bord. »
L’une des raisons pour lesquels la DeltaWing pouvait se passer d’ailerons tout en tenant la route, était d’après Ben Bowlby, son concepteur, son poids très contenu. ZEOD RC est nettement plus lourde mais se passe elle également d’ailerons…
« Oui et elle n’en a pas besoin car elle dispose déjà d’énormément d’appuis. Nous avons fait des progrès très importants sur le plan aérodynamique pour cette voiture. De plus, nous n’avons pas à respecter le règlement, donc nous pouvons utiliser certains artifices réglementaires qui ne sont pas conforme au règlement LMP1 par exemple. »
Au début de cet entretien, vous sembliez vouloir dire que vous auriez besoin d’une année supplémentaire pour tirer la quintessence de cette voiture ? Cela signifie-t-il que vous avez l’intention l’aligner à nouveau en 2015 ?
« Non, notre intention est de regarder vers le LMP1 comme vous le savez. Mais la Nissan ZEOD RC ne cessera pas son activité après Le Mans. Nous avons d’autres idées la concernant… »
Des idées de quel genre ?
« Par exemple, nous pourrions la lancer dans des tentatives de record de vitesse. »
Sur le lac salé de Bonneville par exemple ?
« Oui, des records de ce style. Nous pourrions nous attaquer à des records de vitesse ou de durée en propulsion électrique. Nous n’allons pas enfermer cette voiture dans un musée… Elle nous servira également à démontrer le potentiel de certaines technologies que nous embarquons sur nos voitures de série. Par exemple, nous annonçons ici l’utilisation de rétroviseurs intelligents sur certains de nos véhicules. Ils utilisent une caméra et remplacent les rétroviseurs intérieurs en offrant une vue dégagée. La ZEOD utilisera ce système en course et sera d’ailleurs dépourvue de tout rétroviseur classique ce qui n’est que meilleur pour l’aérodynamique. »
A quelle vitesse peut espérer rouler ZEOD dans le cadre d’un record de vitesse ?
« Attaquons-nous déjà au Mans et nous verrons cela ensuite… »
Alors justement, Le Mans, sincèrement, pensez-vous être en mesure de finir la course ?
« C’est une course tellement difficile ! Honnêtement, ce serait un miracle que nous allions au bout mais c’est notre but. C’est d’autant plus difficile que finalement, les LMP2 voire les LMP1 sont des voitures de production en quelque sorte. En ce sens qu’il en existe au moins deux exemplaires de chaque. Notre voiture est unique. A tout point de vue. Tout est donc plus difficile. Mais nous ferons un test de 24 Heures avant Le Mans. Nous faisons vraiment tout ce que nous pouvons pour fiabiliser la voiture. »
A quelle date est prévu ce test ?
« Cela dépend encore de l’avancement de notre projet mais il aura certainement lieu avant le début du mois de mai. J’ajoute que pour diverses raisons, il se peut que nous procédions à ce test de 24 Heures sous la forme de 2 fois 12 heures. »
Quel sera alors l’objectif réaliste pour la ZEOD RC au Mans ?
« Vous savez, c’est un défi vraiment unique de vouloir faire un tour complet seulement avec l’aide des systèmes électriques. Et de le faire véritablement sur un rythme de course… Donc ce sera notre objectif premier. Puis, nous essaierons d’aller aussi loin que nous le pouvons ! »
Au vu des difficultés que semble devoir affronter l’équipe Nissan pour permettre à la ZEOD RC de boucler son « tour électrique » au Mans, l’on se dit que la LMP1 tout électrique n’est pas encore tout à fait pour demain. Et que les moteurs thermiques, même au son aussi étouffé que celui de la Porsche 919, ont encore de beaux jours devant eux…