Notre rubrique 2016 du Club des Pilotes des 24 Heures du Mans se termine en beauté. Tom Kristensen, recordman des victoires au Mans avec neuf succès, dont une incroyable série de six victoires entre 2000 et 2005, a accepté de répondre à quelques questions pour Endurance-Info, le pilote danois offrant ainsi un peu avant l’heure un joli cadeau de Noël à nos lecteurs. Nous l’en remercions vivement. (In English)
Tom, quand vous étiez enfant puis, plus tard en tant que jeune pilote, quelles étaient vos idoles en sport automobile ?
« C’était mon père, Mario Andretti, qui lui ressemblait beaucoup, Derek Bell et Jacky Ickx! Ils étaient extrêmement éclectiques, ont essayé beaucoup de choses différentes et la longévité de leur carrière a été exceptionnelle. »
Quand vous avez commencé à courir, que représentait Le Mans pour vous. Pensiez-vous déjà y courir ?
« Comme tout pilote de course, j’ai toujours voulu faire cette course. C’est le plus grand challenge en course automobile et j’avais prévu de le faire après avoir atteint mon but de courir en Formule 1. Donc, je suis allé au Mans un peu plus tôt que prévu, ce qui s’est avéré être un bon choix quand on y repense. Déjà en tant que jeune pilote, j’ai eu un coup de cœur pour Le Mans. En 1990, au Danemark, une course de karting a été interrompue pour que nous puissions voir notre compatriote John Nielsen franchir la ligne d’arrivée en vainqueur. »
Vous avez gagné au Mans en 1997 avec la TWR-Porsche pour votre première course dans la Sarthe. Aviez-vous déjà un piloté un prototype auparavant et pensiez-vous pouvoir remporter la course ?
« La Porsche avait été engagée par le Joest Racing. Ralf Jüttner, leur Directeur Technique, m’a appelé une semaine avant la course pour faire équipe avec Michele Alboreto et Stefan Johansson. Le reste, c’est l’histoire ; j’ai fait 17 tours seulement en essais libres, mais j’ai fini par remporter l’épreuve avec ces deux grands pilotes. C’est Michele qui connaissait le mieux la voiture et j’ai beaucoup appris grâce à lui. Il ne m’a jamais rien dit à moins que je lui demande. Ce n’était pas la première fois que je pilotais un sport-prototype, mais c’était ma première course au Mans, et la première fois que je conduisais cette barquette et un prototype à conduite à droite. Cette première victoire a été magnifique, et en fin de compte, j’ai réussi à établir un nouveau record du tour. »
Est-ce à cause de cette course que vous avez fait bifurquer votre carrière vers l’endurance ?
« Bien sûr, ce fut une fantastique opportunité et un tournant dans ma carrière. Jusqu’alors je ne m’étais pas axé sur l’endurance, mais finalement, c’est devenu la discipline que j’ai adorée le plus et cela m’a valu ma série de résultats au Mans. »
Seuls trois pilotes ont gagné au Mans au XXème et au XXIème siècle : vous, Alexander Wurz (en 1996 et en 2009) et Allan McNish (1998 et 2008). Est-ce quelque chose dont vous êtes fier ?
« Oui, je suis fier de ces réussites, mais il y a aussi un autre aspect historique particulier. Seuls Jacky Ickx, Allan McNish et moi-même avons réussi à gagner au Mans au cours de trois décades différentes. J’ai couru au Mans 18 fois et j’ai fait 14 podiums dont neuf victoires. »
Etait-ce différent de piloter une essence, une diesel ou une hybride ? Pouvez-vous expliquer pourquoi ?
« Ces voitures sont des mondes à part. J’ai eu le privilège au cours de ma carrière de piloter de nombreux concepts différents qui exigeaient des styles de pilotage complètement différents, dus à une répartition des masses différente, la transmission de la puissance et de nombreux autres aspects. De même, il y a une énorme différence entre les moteurs atmosphériques et les moteurs turbocompressés, et chez Audi nous avions les moteurs à injection directe FSI entre 2001 et 2005. Les styles de pilotage ont beaucoup évolué à cette époque.
Le bond en avant le plus marquant a été clairement l’Audi R10 TDI avec son moteur V12 TDI, puissant et avec beaucoup de couple, un différentiel spécifique et une répartition des masses fortement axée sur l’arrière. Cette voiture était certainement celle qui était la plus éloignée d’un style de pilotage traditionnel. L’Audi R8 était tout simplement une voiture fantastique et l’Audi R18 e-tron quattro avec sa propulsion hybride était très maniable et extrêmement complexe. »
Emanuele Pirro a dit récemment à Endurance-Info que sa voiture du Mans préférée était l’Audi R8. Aussi, quelle est la vôtre ?
« Je suis d’accord avec Emanuele. Lors de chaque victoire de l’Audi R8 au Mans, je faisais partie de l’équipage, donc c’est certainement une de mes voitures préférées. La voiture a aussi créé un nom qui a été pris par Audi AG pour baptiser en conséquence sa première routière sportive racée. Donc, l’Audi R8 a été une voiture avec une très longue carrière.
La Bentley était la voiture la plus élégante et l’Audi R18 e-tron quattro 2013 était très agressive dans le bon sens du terme et présentait extrêmement bien. »
Vous avez longtemps fait équipe au Mans avec Rinaldo Capello et Allan McNish, avec sept courses ensemble tous les trois, et vous avez couru neuf fois au Mans avec Dindo. Chacun d’entre vous avait-il un rôle particulier ? Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Allan et Dindo ?
« Oui, ils avaient clairement des rôles spécifiques : Allan suggérait toujours un restaurant et Dindo payait seulement s’il trouvait son portefeuille ! Sérieusement, j’ai été le coéquipier de beaucoup de pilotes, et ces deux-là étaient des compagnons extraordinaires. Une profonde relation s’est développée entre nous en ALMS, au Mans et jusqu’au FIA WEC. Aussi, cela a été l’un des équipages les plus durables chez Audi et en endurance. Nos relations de travail se sont transformées en amitié personnelle. »
Parmi vos neuf victoires, quelles sont vos préférées ? Y-en-a-t-il une (ou plusieurs) que vous regrettez de ne pas avoir gagnées ?
« Demandez à un père s’il a un enfant préféré, et il dira non. C’est pareil pour moi, et je n’ai pas non plus de victoire préférée au Mans, car toutes sont particulières. On peut en distinguer quatre : 1997 parce que c’était ma première, 2001 parce que ça a été une course dure sous une pluie torrentielle, 2008 à un cause d’une incroyable bataille avec Peugeot et 2013 en raison de circonstances psychologiques extrêmes, pour des raisons personnelles et également en raison de la mort de mon compatriote danois Allan Simonsen pendant cette course.
Celles que je regrette de ne pas avoir gagnées sont celles de 1999 et de 2007 parce que nous étions forgé une avance confortable lors de chacune d’elles avant de les perdre. Et en 2014, un turbo cassé nous a fait perdre l’opportunité de gagner à nouveau. »
Outre Le Mans, quels étaient vos circuits et vos épreuves préférés ?
« J’aime vraiment les circuits de Suzuka, Sebring et Road America. Pour les épreuves, le Goodwood Revival est pour moi le plus attrayant. »
Vous avez longtemps travaillé avec le Dr Wolfgang Ullrich. Comment était votre relation. Quel genre de Manager était-il ? Pensez-vous qu’il pourrait être appelé « Monsieur Le Mans » comme Jacky Ickx et vous ?
« Sa vision, sa détermination et sa grande personnalité le rendent très spécial. Je dirai simplement que c’est le meilleur patron de sport automobile que j’ai jamais eu et je pense que plusieurs autre pilotes partageront cette opinion. »
Vous étiez à Bahrain pour la dernière manche du WEC et la dernière course pour Audi. Donc, vous avez vu de près l’ambiance à l’intérieur de l’équipe Audi. Qu’est-ce qui était dominant : la joie pour la victoire et les deux podiums , la fierté pour les 18 années de Audi ou la tristesse à cause du retrait d’Audi ?
« Je ne vois aucun de ces aspects avoir pris le pas sur les autres pendant le week-end. Je pense que c’était un mélange de tous ces éléments. Et, de toute évidence, nous avons clos un chapitre plein de fierté et de joie un jour où nous avons célébré l’héritage de 18 années en endurance. Cette victoire était tellement importante. »
En janvier prochain, vous allez disputer la Race of Champions. Vous avez remporté deux fois la Coupe des Champions avec Mattias Ekström et Petter Solberg, mais vous n’avez jamais été Champion des Champions bien que vous ayez été quatre fois finaliste. Aussi, allez-vous courir pour la victoire à Miami ?
« Je me sens privilégié d’être invité deux ans après avoir mis fin à ma carrière et, une nouvelle fois, je veux donner le meilleur de moi-même. On ne sait jamais quels résultats cette épreuve va vous réserver, mais c’est toujours un plaisir. »
Vous êtes Président du la Commission des Pilotes de la FIA ? Quels sont vos principales préoccupations ?
« C’est un honneur de contribuer à mettre en forme quelques aspects de l’avenir de notre sport. C’est une mission que j’ai acceptée pleinement et avec enthousiasme quand Jean Todt, le Président de la FIA, me l’a demandé . En tant que Président de la Commission des Pilotes de la FIA, je dois rendre des choses au sport que j’ai toujours aimé. C’est vraiment un honneur. Pour nous, dans la commission, c’est un rôle consultatif, car nous recevons aussi des questions ou des idées venant d’autres commissions. Nous suggérons nos solutions qui ont un impact sur les technologies futures du sport automobile, par exemple, sur la sécurité des circuits, ou sur la conception des circuits et sur les limites de course. Parfois, les circuits modernes peuvent être trop aseptisés ou pardonnent trop de choses. Nous couvrons les courses tout terrain, les courses de côte, le Rallye et d’autres disciplines. Donc, c’est une commission de coordination pour toutes les disciplines su sport automobile. »
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