Bahrain, samedi 19 novembre, 22h30. Ils sont sept en conférence de presse à l’issue de la finale FIA WEC 2016. On attend Marc Lieb et Romain Dumas qui arrivent quelques minutes plus tard à quelques secondes d’intervalle sous une salve d’applaudissements. On a senti dans le regard de l’Allemand et du Français de la joie d’avoir décroché ce titre, mais il y a aussi du soulagement d’avoir terminé cette saison qui a connu des hauts et des bas. Quelques heures plus tard, le constructeur allemand organise une fête dans un hôtel tout proche du circuit et on ne peut pas dire que les deux ont été les derniers à quitter la fête.

Six jours plus tard, Porsche annonce le départ du programme LM P1 de Marc Lieb, 36 ans, et Romain Dumas, 38 ans, dans un communiqué de presse qui précise que les deux auront un nouveau rôle chez Porsche. Lequel ? Rien n’est précisé. Drôle de façon de récompenser deux pilotes qui sortent d’une victoire aux 24 Heures du Mans et d’un titre de Champion du Monde. Ce départ, on aurait pu vous l’annoncer depuis un bon moment car les rumeurs allaient bon train dans le paddock. Ces mêmes rumeurs étaient déjà là fin 2015. On lit ici et là que Marc Lieb et Romain Dumas ne sont plus assez rapides, qu’ils ont atteint la limite d’âge et qu’il faut laisser la place aux jeunes. C’est pour cela que Porsche a embauché Mark Webber à 37 ans pour son programme LM P1. Aller vite en piste quand on a une épée de Damoclès sur la piste n’est certainement pas la chose la plus facile pour un pilote. Trouver de la motivation quand vous savez que vous êtes épiés n’est pas évident. On va nous dire que le trio de la #2 a eu de la chance avec une victoire à Silverstone sur tapis vert et un succès au Mans à deux minutes de l’arrivée. C’est aussi cela le sport où rien n’est écrit à l’avance, où tout se joue à la limite. Et ne venez pas me dire que Jani/Lieb/Dumas ont volé leur titre et ne venez surtout pas me dire que Lieb/Dumas sont lents. A ce niveau, aucun pilote peut être considéré comme lent. Certains sont plus incisifs que d’autres, certains sont en plus retrait sur telle ou telle course, certains doivent favoriser la voiture soeur, certains ont connu plus de trafic, etc.. Il ne suffit d’analyser une simple feuille de temps pour tirer toutes les conclusions. Nous avons eu la chance de suivre la progression des pilotes au sein d’un team FIA WEC devant des ordinateurs et on peut vous dire que c’est plus compliqué qu’il n’y paraît de l’extérieur.

Il est tout de même dommage d’annoncer cette nouvelle quelques jours seulement après la finale FIA WEC sans qu’aucun des deux ne parle de retraite sportive volontaire. Si c’est le cas, on les connaît très mal. Après trois saisons passées en LM P1, Mark Webber a eu droit à tous les honneurs. L’Australien repart avec un titre mondial, l’unique titre de sa longue carrière en plus de celui du Formula Ford Festival en 1996.

Marc Lieb et Romain Dumas ont apporté quoi à l’Endurance ? On ne va pas vous refaire l’historique avec pour chacun un palmarès long comme le bras. Avouez que la façon de les remercier est tout de même un peu étrange. Qu’on veuille les remplacer c’est une chose, mais il y a des façons. D’autres en ont déjà fait les frais dans le passé. On citera Nicolas Minassian et Pedro Lamy chez Peugeot, Nicolas Lapierre chez Toyota. Ne croyez surtout pas que les constructeurs font des sentiments. Pourtant, l’Endurance véhicule des valeurs de famille. Au football, quand une équipe va mal, on vire l’entraîneur. Personne n’a pensé virer les joueurs. En sport automobile, les pilotes sont les fusibles. Est-ce qu’on écarte un team manager qui fait perdre une course majeure à cause d’une mauvaise stratégie ?

On parle maintenant de faire venir Fernando Alonso en LM P1 en 2018, soit à 37 ans. Comme Webber, qui n’a pas mis la misère à ses équipiers dès ses débuts, il lui faudra certainement une saison pour appréhender une nouvelle discipline. Donc, d’un côté on veut promouvoir les jeunes avec un Rookie Test (ce qui est une très bonne idée), et de l’autre, dès qu’une ancienne star de la F1 est sur le marché, les constructeurs ont les dents rivés sur le parquet avec un contrat prêt à signer. Priorité à l’image…

Il faudrait maintenant appeler Marc Lieb et Romain Dumas pour revenir avec eux sur leur carrière. Sauf qu’ils ont certainement encore beaucoup de choses à apporter à l’Endurance et qu’aucun des deux n’a encore parler de retraite sportive et ce serait mal connaître Romain Dumas que de parler de retraite. Pour Marc Lieb, la donne est un peu différente. L’Allemand est diplômé de l’Université des Sciences Appliquées d’Esslinger d’où il est ressorti ingénieur. Il a déjà eu l’occasion de mettre à bien ses compétences chez Porsche du temps du RS Spyder. On sait que l’Allemand a encore d’autres défis à relever derrière un volant.

Avant Porsche, Audi s’est séparé de plusieurs pilotes. On ne peut pas dire que la façon employée ait été la même. A l’heure actuelle, deux des trois vainqueurs des 24 Heures du Mans 2016 ne seront pas là pour remettre le trophée en jeu en juin prochain. Porsche Team doit encore annoncer si une troisième 919 Hybrid sera bien au départ en juin prochain. Dire que André Lotterer va remplacer Mark Webber n’est pas dévoiler un secret. Dire que Earl Bamber et Nick Tandy seront eux aussi à plein temps n’est pas un secret non plus. On pensait que Marc Lieb et Romain Dumas pourraient trouver refuge dans la troisième auto au Mans, ce qui serait logique. Entre temps, Audi Sport arrête et de nouveaux candidats sont sur le marché. Imaginez qu’ils soient confirmés au Mans et qu’ils décrochent la victoire. L’image de marque en prendrait un coup… Croyez-bien que si le tandem Lieb/Dumas devait être reconstitué au Mans, les deux donneront tout ce qu’ils ont car ce sont avant tout des compétiteurs. Les voir sur un programme GTE sur la nouvelle 911 RSR ne semble pas à l’ordre du jour.

A une époque où on met en place des primaires pour décider qui peut être candidat pour diriger un pays avec à la clé une couverture médiatique qui fait penser à une vulgaire émission de télé réalité, on pourrait faire voter le public pour composer des équipages. Là on aurait une communication inédite…

Marc Lieb et Romain Dumas, vous n’allez pas me manquer car je ne doute pas un millième de seconde que vous avez encore beaucoup à apporter à l’Endurance et que votre casque mérite tout, sauf de prendre la poussière sur une étagère…