Benoit Colson fait partie des nombreux passionnés à avoir fait le déplacement en famille le week-end dernier aux 6 Heures de Spa. Son billet d’humeur résume bien ce qu’ont vécu sur place les acteurs du FIA WEC.
Une image, d’abord. Samedi 7 mai 2016, aux environs de 14h20. Le départ des 6 Heures de Spa doit avoir lieu dans dix minutes. Avant cela, il va falloir libérer un par un les bolides rangés en épi, et il faudra ensuite effectuer deux tours de chauffe sous la conduite de la Safety Car. Dans ce décompte précis avant le moment fatidique, chaque seconde compte. Allan McNish va donner le départ de ces deux tours de chauffe à l’aide d’un drapeau vert. Le récent retraité (du moins pour son métier de pilote !) d’Audi Sport est bel et bien présent sur la ligne de départ … mais il n’a pas de drapeau vert ! Où est-il ? Pour le (sa)voir, il suffit de lever les yeux au ciel et d’apercevoir un parachutiste, dont l’image est par ailleurs captée par les caméras de télévision, virevolter dans les airs, au-dessus de la tribune principale puis survoler le virage de la Source, se rapprocher du sol en survolant la fin de la ligne de départ, atterrir, se désangler et piquer enfin un sprint pour tendre le précieux drapeau vert au champion écossais. Just in time!
Belle mise en scène, orchestrée, minutée et porteuse de sens : le passage de témoin que constitue cette remise du drapeau est un travail d’équipe, minuté, préparé (mon fils et moi avions vu le matin-même les membres du club de parachutisme de Spa-Malchamps venir repérer les lieux) et il précède d’autres relais, avec passage de volants ceux-là, qui vont occuper les concurrents inscrits à cette deuxième manche du championnat du monde d’endurance de la saison.
Mais l’arrivée spectaculaire de ce parachutiste était également annonciatrice d’un autre spectacle, en continu pendant six heures, une épreuve – dans tous les sens du terme – mémorable pour les équipes … et pour les 56000 spectateurs présents pour la seule journée de samedi et qui ne l’ont certainement pas regretté.
Alors parlons-en un peu des spectateurs, et pour deux raisons : d’abord parce que sans public le sport automobile n’existerait sans doute pas (ou presque …), et ensuite parce que pour avoir assisté aux sept dernières éditions des 6 Heures de Spa, je crois pouvoir dire que le public a bien évolué et que c’est très bon signe pour les promoteurs de ce championnat encore tout jeune!
Il y a quelques années, le public semblait essentiellement constitué de passionnés, de ceux qui aiment l’endurance et qui l’apprécient tout au long de l’année, qui savourent chaque séance d’essais, et qui ne s’ennuieront pas pendant les 360 minutes que dure la course. Ces passionnés, dont je crois faire partie, sont toujours présents, bien sûr, mais ils sont rejoints par un nombre croissant de familles, qui viennent passer une journée à Francorchamps. Oh bien sûr, les membres de ces familles ne connaissent pas la liste des engagés ni celle des pilotes par cœur, mais après tout qui retient le nom du guitariste et du bassiste lors d’un concert hormis les puristes ? Ils ne savent pas tous qu’il y a quatre catégories de voitures en piste, ils n’ont pas idée de la complexité des systèmes hybrides qui équipent les six LMP de pointe, ils n’ont pas connaissance des subtilités du règlement concernant la consommation, et ils ignorent sans doute pour la plupart le temps qu’il a fallu pour concevoir et mettre au point les bolides qui participent à ce long sprint.
Et pourtant ils apprécient …
La météo a certes été exceptionnelle, mais a-t-elle contribué à l’afflux de spectateurs ? C’est possible, mais quand on a du beau temps lors d’un long week-end avec férié et pont, la journée à la mer est un concurrent redoutable en notre plat pays.
Alors qu’apprécient-ils d’autre ?
Le spectacle en lui-même, certainement, qui au-delà des sensations qu’il procure, est de plus en plus lisible pour les néophytes, avec des écrans géants, des numéros de course de quatre couleurs selon la catégorie, les diodes indiquant quelles voitures sont virtuellement sur le podium leur catégorie à chaque instant de la course.
Il y a aussi la durée et l’accès identique pour tous (« placement libre », est-il indiqué sur les billets d’entrée), qui permettent de se déplacer durant la course pour apprécier différents points de vue, et ce autour d’un circuit qui fait 7km de long, le tout dans un décor naturel de toute beauté. Et tout cela sans être prisonnier d’un siège numéroté en tribune.
Il y a aussi ces animations pour petits et grands, comme ce petit circuit de voitures électriques (tiens oui, elles aussi !) pour enfants évoluant au milieu de bottes de foin, et toutes ces petites choses qui font que le spectateur se sent accueilli et a le sentiment qu’il pourra profiter librement de la course.
Une organisation impeccable et qui fait bien les choses, depuis l’arrivée au parking, prise en charge par la navette jusqu’au paddock, sans bousculade, et avec le sourire du chauffeur qui mérite une mention spéciale. Tout comme les forces de l’ordre et l’armée, bien présentes elles aussi (actualité oblige), mais en toute discrétion.
Et pour le reste ? Pour en revenir aux fondamentaux, il suffit de mentionner des noms comme Porsche, Ferrari, Audi, Aston Martin, Ford, Toyota, des pilotes de tout premier plan, accessibles, et il suffit de se souvenir qu’en endurance ce n’est pas toujours le plus rapide qui gagne mais souvent celui qui connaît le moins d’ennuis. C’est la définition d’endurance dans ce qu’elle a de plus authentique et cela donne des scénarios tout bonnement incroyables.
Et c’est alors qu’on comprend qu’à l’arrivée petits et grands applaudissent chacune des voitures qui franchit la ligne d’arrivée car ils sont conscients qu’il a fallu beaucoup de passages de témoins, à tous les niveaux, et un formidable travail d’équipe pour arriver au terme de l’épreuve. J’ai vu les yeux de mon fils de dix ans briller pendant toute la journée, et j’ai vu un homme bien plus âgé agiter sa casquette pour saluer avec enthousiasme et respect chaque concurrent dans son tour de décélération.
Oui, vraiment, samedi dernier à Spa, on pouvait toucher des doigts la magie de l’endurance …
Vive le championnat du monde d’endurance, vive le circuit de Spa … et vivement la prochaine course!