Le Mans

Marcel Hubert, l’aérodynamiteur des Alpine, n’est plus…

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C’est au cœur de l’hiver 1962 que cet homme intègre la grande aventure Alpine. Jean Rédelé, le patron de la marque dieppoise, ayant obtenu, moyennant quelques subterfuges, des subsides et des moteurs pour engager des voitures aux 24 Heures 1963, il est plus que temps d’imaginer et de créer cette nouvelle Alpine… Repartant de dessins jetés à la hâte sur le calque par Len Terry, un ingénieur Lotus, Richard Bouleau s’attelle à la tache de concevoir le châssis-poutre nécessaire. Du côté du boulevard Victor à Paris, Amédée Gordini s’occupe de préparer les 4 cylindres issus de la Renault 8. Mais il va bien falloir habiller tout cela… Et c’est Marc Mignotet, le préparateur des moteurs Alpine de rallye qui va conseiller le nom de son ami Marcel Hubert à Jean Rédelé.

photo11Marcel, le francilien, a du renoncer à ses études d’ingénieur en mécanique des fluides à cause de la guerre. Mais il a déjà pu exercer ses talents sur l’Etoile Filante de Renault ou les CD Panhard de 1962. Il a donc déjà quelques solides bagages lorsqu’il lui faut, en deux mois, concevoir la robe de l’Alpine M63 ! La voiture est un peu rondouillarde mais très bien née et dès les essais d’Avril, l’unique M63 présente bat le record de la catégorie 1000 cm³. L’équilibre est encore instable mais la voiture file à plus de 220 km/h sur les Hunaudières ce qui avec moins de 100 chevaux sous le capot, reste remarquable ! En juin, la course de l’équipe Alpine sera endeuillée par le tragique décès de Bino Heins. Et si les deux autres M63 doivent abandonner, l’aventure n’en est pas moins sur de bons rails. Et Marcel Hubert l’accompagnera de bout en bout. Adepte d’une expérimentation maîtrisée, quitte à monter des moteurs de série encore moins puissants que ceux de course, Marcel affinera de plus en plus ses créations, le tout sans jamais négliger la tenue de route des voitures. C’est ainsi qu’en 1965, la M65 sera équipée d’un becquet et des fameuses dérives verticales sur le capot arrière, donnant enfin la stabilité défaillante en ligne droite de ces fines autos. Tout cela n’altère en rien le point fort des Alpine, la Vmax, puisque la M65 est « radarisée » à 250 km/h avec un moteur de 108 ch ! Voilà de quoi justifier encore plus le surnom qui est affectueusement donné à Marcel Hubert au sein de l’équipe : « l’aérodynamiteur »…

En 1966, la M65 est renommée A210 afin de cadrer avec le reste de la gamme Alpine. Mais la voiture est améliorée sur tous les points. Elle « explose » tout lors des essais d’Avril ou Mauro Bianchi dépasse les 265 km/h avec un petit 1300 cm³ dans son dos ! Mieux, s’il manque de moins d’une seconde de passer sous la barre des 4 minutes au tour, il franchit celle des 200 km/h de moyenne sur les 13,461 km du circuit d’alors : Une performance absolument remarquable pour l’époque ! La course apportera de nouvelles satisfactions à l’équipe normande. Trois des six A210 au départ signent un triplé à l’indice énergétique.

Le mur des 4 minutes, Mauro le franchira l’année suivante lorsque son A210 sera équipée d’un « monstrueux » moteur de 1,5 litres développant 150 chevaux. Et l’on s’attend à mieux encore pour les années à venir puisque Amédée travaille enfin à ce prometteur et tant attendu V8 3 litres qui devrait enfin permettre à Alpine de passer à l’échelon ultime. L’A211, évolution de l’A210, ne semble pas être en mesure de satisfaire ces espoirs et l’on décide donc tardivement de développer une nouvelle voiture pour 1968. Marcel Hubert retourne donc à la planche à dessin mais l’A220 est dramatiquement instable en ligne droite lors des essais d’Avril. Heureusement pour Alpine, les étudiants et les ouvriers paralysent la France en Mai et même si l’équipe s’exile dans les vergers environnants l’usine, utilisant les branches des pommiers en guise de palan, pour préparer les voitures comme ils peuvent, le report des 24 Heures en septembre est une excellente nouvelle. Marcel profite de ce délai supplémentaire pour procéder comme à son habitude à des essais expérimentaux. Il découvre alors que l’ajout d’un disgracieux « peigne » à l’arrière de la voiture, améliore grandement le comportement de l’auto. Et si les 300 km/h ne sont pas au rendez-vous, la faute n’en incombe pas forcément à l’aéro de l’A220 mais à son V8 bien moins puissant qu’escompté. Il est admis aujourd’hui que ce moteur 3 litres ne développait que 280 chevaux environ. Chez Porsche, le flat 8 en offre 70 de plus tandis que chez le concurrent français Matra, le V12 culmine à 380 ! Cruelle différence… Dans un tel contexte, les travaux de Marcel n’en prennent que plus de valeur. Car Mauro, toujours lui, signe un incroyable 3’43″4 aux essais, le plaçant 8ème sur la grille à moins de deux secondes de la Matra 6ème (3’41″8). Mais les 908 allemandes font bien mieux encore en s’offrant la Pole en 3’35″4 grâce à Jo Siffert. Des quatre A220 au départ, une seule voit l’arrivée, mais seulement à la 8ème position… La déception est grande autant au sein de l’équipe que pour le public français, surtout après la course remarquable mais malchanceuse de la Matra… Mais surtout en raison du dramatique accident de Mauro Bianchi, très sévèrement brûlé dans son Alpine après avoir oublié de pomper sa pédale de freins suite à un changement de plaquettes.

En 1969, André de Cortanze et Marcel Hubert défendent deux voies différentes afin d’améliorer l’A220. C’est celle d’André qui prend le dessus lors des essais d’Avril. Même si la version Hubert à radiateurs latéraux atteint les 314 km/h en ligne droite, celle d’André, avec les radiateurs à l’arrière, tape les 320… Mais le V8 auquel on a tenté d’arracher de nouveaux chevaux va systématiquement ruiner la course de chacune des quatre A220, aucune ne recevant les honneurs du drapeau à damiers… La Régie Renault signera rapidement la fin de l’aventure de ce V8 3 litres et Alpine quittera donc Le Mans pour se diriger vers le monde des Rallyes avec succès.

Mais lorsque le tout nouveau V6 2 litres de Renault Sport conçu en 1973 pour la Formule 2 s’avère d’emblée aussi puissant que le V8 3 litres de Gordini, des idées germent de nouveau à la Régie. On le place rapidement dans la toute nouvelle A440 destinée au Championnat d’Europe des 2 litres. Et Marcel Hubert est de nouveau impliqué, toujours aux côtés de De Cortanze et de Bouleau, dans la conception de cette voiture. Dès 1974, la A440 sérieusement améliorée, devient A441 et s’avère être l’arme ultime en proto -2 litres. D’ailleurs, lorsque l’ACO décide de contrôler drastiquement la consommation pour les 24 Heures du Mans 1975, il est décidé d’engager une A441B confiée à deux femmes, Marie-Claude Beaumont et Lella Lombardi, accompagnée de Pierre-François Rousselot. Le joli coup de pub tourne court avec une panne d’essence mais dans la coulisse, le turbo fait son chemin.

LM7619-C20Greffé au V6 2 litres, le turbo permet de passer en groupe 6 3 litres mais surtout, la puissance grimpe aux alentours de 500 chevaux et cette fois, la victoire mancelle devient clairement l’objectif final. La A442 est une évolution proche de la A441 mais équipée du moteur turbo. Après des débuts difficiles en 1975, la A442, Alpine et Marcel Hubert retrouvent officiellement Le Mans dès 1976. Mais ce n’est qu’un « coup pour voir ». La voiture est la version sprint du championnat et n’a que peu de chances d’aller au bout. Elle s’avère néanmoins très rapide sur un tour et occupe même la tête de l’épreuve en début de course. Mais à mi-course, le V6 rend les armes, sans surprise.

En vue de 1977 ou les Alpine Renault deviendront des Renault Alpine, l’équipe se concentre exclusivement sur Le Mans. Un copieux programme d’essais permet à Marcel Hubert de travailler encore sur la carrosserie. Il l’allonge et l’affine encore. La ligne droite du Mistral permet de valider ces travaux et la belle jaune fend l’air. Bien que rendant une vingtaine de chevaux aux Porsche 936, les A442 sont légèrement plus rapides sur les Hunaudières. Et Jabouille claque la Pole en 3’31″7 !L’aérodynamiteur sait encore faire… Mais ces mêmes Hunaudières sont fatales aux V6 dans la matinée du dimanche. Renault laisse la victoire à Porsche. Il faut revenir une année de plus…

On remet donc l’ouvrage sur le métier. Porsche annonce développer une version refroidie par eau de son Flat6 dans le but d’augmenter sérieusement la puissance. Il faut donc également réagir chez les jaunes. Marcel Hubert raffine encore et toujours la A442. La fameuse bulle fait son apparition. Elle est destinée aussi bien à l’ultime évolution de la A442, la A442B qu’à la petite dernière, l’A443 la seule équipée du V6 porté au maximum de la cylindrée. Elle est encore plus longue, de 15 cm, que l’A442 ce qui améliore encore un peu plus sa finesse sur la route de Tours ! L’A442B et l’A443 sont également équipées de brosses sur les côtés. Celles-ci imitent les jupes qui commencent à faire parler d’elles en F1 surtout sur la Lotus 79. Marcel Hubert sait suivre l’air du temps… Avec les 580 chevaux de son Flat 6, Jacky Ickx s’arroge la pole. Mais pour la course, les ingénieurs allemands sont revenus à une puissance plus raisonnable, comparable à celle des Renault Alpine. Et c’est l’aérodynamique supérieure de ces dernières qui leur donnera un avantage décisif. A l’issue du premier tour, Jean-Pierre Jabouille a creusé un écart de… 11 secondes ! En course, la A443 cruise à plus de 360 km/h sur les Hunaudières ! Les Porsche restent sous les 340… La A442B, sur laquelle Pironi et Jaussaud ont conservé la bulle, file à 352. Aérodynamiteur, nous vous disions… La victoire est au bout de cette édition 1978, enfin… Renault, sans surprise, se retire de l’endurance mais Marcel continue de contribuer à l’évolution aérodynamique des F1 de la marque jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite en 1982. Mais son attrait pour Le Mans reste intact…

LM8313-S06Et lorsque Yves Courage décide de lancer l’aventure Cougar dans le grand bain des 24 Heures, Marcel Hubert est de la partie. La C01 ne peut d’ailleurs nier sa filiation. La ligne ressemble assez à une A442 légèrement plus courte et dotée d’un cockpit fermé. D’emblée, la voiture est taillée pour les hautes vitesses ! La C01 figure parmi les plus rapides des groupe C à moteurs Ford Cosworth, seules les Ford C100 officielles la devançant ! Lorsque Yves réalise en 1985 que le V8 anglais ne permettra pas à sa voiture de briller autant qu’il le souhaiterait, il équipe sa C02 du flat 6 Porsche qui brille tant dans les 956. Avec une telle cavalerie et malgré un sévère tour de vis réglementaire sur le plan de la consommation, la C02 s’avère durant la course, la plus rapide du plateau, tout simplement : 335 km/ soit 12 km/h de mieux que les futurs vainqueurs ! Marcel continuera encore de longues années à travailler aux côtés des ingénieurs d’Yves Courage. Jusqu’en 1997 précisément… Lorsque la Courage prit les couleurs d’une Vaillante. Ces Vaillante que Jean Graton, crayon en main, rendait lui aussi si rapides sur les Hunaudières !

LM1987-013T-G09Oui, Marcel Hubert savait dessiner des voitures qui allaient vite, très vite. Il est décédé le 5 mars dernier. Endurance-Info tenait à lui rendre cet ultime hommage, lui qui entre au Panthéon des très grands ingénieurs du sport auto, lui qui a connu cette époque ou l’on découvrait tout de l’aérodynamique…

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