C’est l’histoire de deux remontées de longue haleine, l’histoire de deux longues chevauchées qui offrent quelques similitudes, l’histoire de deux deuxièmes places qui auraient mérité mieux, l’histoire de deux voitures les plus rapides de leur édition respective, l’histoire de deux patrons d’écurie français qui ont obtenu là leur meilleur résultat en Sarthe mais également leur résultat le plus frustrant. C’est l’histoire d’une Courage et d’une Pescarolo. C’est l’histoire d’Yves et d’Henri. C’était il y a 20 ans, c’était il y a 10 ans…
Nous sommes en 1995. Depuis Janvier, on ne parle plus de l’Europe des 12 mais de l’Europe des 15 avec l’intégration de l’Autriche, de la Suède et de la Finlande. Jacques Chirac est élu Président de la République depuis moins de deux mois qu’il décide déjà de reprendre le cours des essais nucléaires français. Le XV de France échoue pour quelques centimètres à Durban en demie-finale de la Coupe du Monde de Rugby. Quant à 2Pac, il figure tout en haut des charts américains durant de longues semaines tout en purgeant une peine de prison…
Au Mans, lors du Pesage aux Jacobins, l’équipe d’Yves Courage présente trois voitures. Après la Journée Test du 30 Avril, Yves aurait aimé troquer l’une de ses deux C41 toutes neuves mais insuffisamment testées par une C34 à moteur Porsche, éprouvée et fiable. Mais l’ACO s’appuie sur ses textes pour refuser le changement. Cette décision justifiée, aura toutefois une influence non négligeable sur la suite des événements. Ce sont donc deux C41 à moteur GM qui accompagne l’unique C34 frappée du numéro 13.
Sur cette auto très classique, dont la conception de base remonte à l’époque du Groupe C, on trouve un équipage prestigieux. Le vainqueur des 24 Heures 1993, Eric Hélary, est pourtant le seul à pouvoir s’enorgueillir d’un tel succès. Bob Wollek qui l’accompagne, est passé tant de fois à côté du succès. Sentant que cela pourrait enfin être la bonne année pour Courage et donc pour lui-même, Bob a poussé très fort auprès de l’usine Porsche pour qu’un excellent moteur soit confié aux sarthois. Ce moteur officiel est peut-être l’argument massue qui a convaincu Mario Andretti de se joindre à ce redoutable duo pour aller quérir le seul succès mondial de prestige qui lui manque. Sur la C41 n°11, on retrouve un autre excellent équipage. Henri Pescarolo, le doyen, est accompagné de deux pilotes de la filière Elf dont il est l’ambassadeur. Franck Lagorce dispute ainsi ses deuxièmes 24 Heures tandis que Eric Bernard fait ses grands débuts au Mans. La n°12 est quant à elle confiée à Eric Van de Poele, pilier de l’équipe, Olivier Beretta débutant au Mans et Matjaz Tomlje qui ne compte qu’une seule participation. En ces années ou le plateau prototype a encore du mal à se remettre de la pénible année 1992, nul doute que Courage Compétition endosse le rôle de favori même si le team Kremer s’est vu lui aussi confié un moteur usine pour l’une de ses deux K8. Certes le public espère beaucoup de l’unique Ferrari 333SP présente pour la première fois en Sarthe mais un imbroglio technico-réglementaire a privé cette auto de nombreuses heures de roulage aux essais. Bref, les Courage boys ne semblent devoir craindre que les assauts d’une Kremer ou des WR, rapides aux essais puisque ayant réalisé la pole, mais probablement plus fragiles que la C34.
Sous l’impulsion du fameux BPR, les GT reprennent sérieusement du poil de la bête après les années Groupe C ou elles avaient totalement disparu. Certes, elles sont moins rapides au tour que les protos mais leur nombre pourrait jouer en leur faveur. Les Jaguar XJ220 du team Chamberlain pourraient tirer leur épingle du jeu. Les Ferrari F40 du team Ennea sont systématiquement les plus rapides aux essais mais on doute de leur réussite sur 24 Heures. Venturi lance une 600 SLM dont on attend beaucoup mais son V6 PRV a souvent fait preuve de ses limites en fiabilité. S’il est donc une GT dont on attend beaucoup, c’est la superbe McLaren F1 GTR, nouvelle venue au Mans et seule parmi toutes ces GT à s’appuyer sur une coque carbone de série. Et sur un merveilleux V12 6 litres BMW très fiable puisqu’il peut faire une saison complète de BPR sans révision… Les deux Gulf, les deux David Price, celle de Fabien Giroix, voilà autant de F1 GTR que l’on place allègrement au rang de solide outsiders. La McLaren « tuile » du BBA compétition s’appuyant sur des pilotes gentlemen passionnés ne peut prétendre au même statut. On sait moins comment positionner la n°59 d’un concurrent nippon inconnu, le Kokusai Aihatsu. Elle est certes excellemment pilotée par le trio Masanori Sekiya, Yannick Dalmas et JJ Lehto, mais elle n’a encore jamais été vue en compétition. Elle est suivie pour cette course, par un team (celui de Paul Lanzante) n’ayant pas l’aura des autres équipes McLaren britanniques et son châssis a fait tous les essais de développement ! Il est donc peut-être légèrement fatigué…
C’est donc la surprise aux essais lorsque cette n°59, confiée à JJ Lehto, devance toutes les autres F1 GTR en 3’57″18. Mais les protos sont plus de 10 secondes plus rapides. La Courage n°13 est notamment troisième en 3’48″76 aux mains de Bob Wollek. Cela ne console guère Yves Courage de la perte de la C41 n°12. Un changement de moteur et le passage à des disques carbone expliquerait que la n°12 se soit soudainement retrouvée 20 kg sous le poids réglementaire… Et pour la deuxième fois en 5 ans, une Courage est exclue à l’issue des essais. La n°11 ayant eu sa part d’ennuis au cours des essais, il paraît donc évident que seule la n°13 sera à même de durer dans cette course…
Nous sommes en 2005. Jean-Paul II et Rainier III ne sont plus. L’Airbus A380 prend son envol pour la première fois à Toulouse. Les français puis les néerlandais envoient un Non retentissant à la constitution européenne. Clint Eastwood triomphe aux Oscars avec Million Dollar Baby et Asafa Powell devient à Athènes, le coureur à pied le plus rapide de l’histoire sur 100 mètres en 9″77…
En Sarthe, les LMP900 vivent leur dernière année. A partir de la saison suivante, elles seront définitivement remplacées par les toutes nouvelles LMP1 dont la première représentante avait déjà été vue en 2004 chez Nasamax. Audi préparant son retour pour cette occasion avec une toute nouvelle arme, les fameuses R8, déjà victorieuses à quatre reprises, font donc un dernier baroud d’honneur aux mains des teams Champion et Oreca. Pour ne pas faire d’ombre aux LMP1, les LMP900 ont été réglementairement freinées. Le poids mini est désormais de 950 kg au lieu de 900. Le réservoir a vu sa capacité amputée de 10 unités revenant à 80 litres. Le diamètre des brides d’air d’admission a été encore réduit suite à la première réduction de 2003 (29,9 mm au lieu de 30,4). Les R8 seront indiscutablement moins rapides qu’en 2004 mais on ne peut s’empêcher de penser que leur fiabilité et leur nombre leur laissent de véritables chances de victoire…
Chez Pescarolo Sport, on a fait un véritable pari au cours de l’hiver. Avant même d’être certain de boucler son budget, Henri a lancé ses hommes sur la transformation de ses P900 en P1 comme l’y autorise le règlement. En effet, bien que la monocoque demeure celle de la P900 d’origine Courage, tout le reste est nouveau ! A tel point que les photos qui fuitent sur EI à la fin de l’hiver ne plaisent guère à Madie et Henri… Si la carrosserie conserve une vraie ressemblance avec la C60 de 2004, elle s’en différencie aussi très nettement en empruntant les nouveaux codes du LMP1. Double arceau, un fond plat qui n’en est plus un et rehausse visuellement la garde au sol, des sabots arrière de part et d’autre du diffuseur dont l’esthétique reste discutable dix ans plus tard, un aileron qui a retrouvé sa pleine largeur de 2m mais dont la corde est raccourcie de 10 cm ce qui à appuis égaux le rend plus « traînant », un porte à faux arrière réduit et un aileron qui doit désormais demeurer à l’aplomb de la carrosserie et non plus en porte à faux par rapport au bord de fuite du diffuseur.
Bref, un air de famille, certes mais une voiture 99% nouvelle pour un travail validé par des mesures sur les lignes droites d’aérodromes avec souvent le grand Henri lui-même au volant, André de Cortanze et Claude Galopin étant les têtes pensantes de ce projet. Une auto à 99% nouvelle donc et c’est d’autant plus vrai que Pescarolo Sport est la première équipe à disposer du V10 Judd 5 litres ! Tournant moins vite que le 4 litres, il est moins gourmand et plus coupleux que le 4 litres. La C60 étant versée dans la mal dénommée catégorie « P1 hybride », elle bénéficie des brides d’air d’admission encore admises en 2002 pour les P900 ce qui leur confère un avantage d’une centaine de chevaux environ par rapport aux Audi R8. De quoi leur donner la pêche sur les longues lignes droites mancelles et qui pourrait compenser le déficit d’appuis des nouvelles hybrides. Courage et Dome ont également procédé à ces évolutions permettant de transformer les P900 en P1 mais le résultat est chronométriquement moins convaincant que chez Pescarolo Sport.
Dès la Journée Test, les Verts se mettent en exergue. Les deux C60 s’imposent en haut des feuilles de classement en 3’32″468 pour la n°16 et 3’35″893 pour la n°17. L’arrivée « à la Michel Vaillant » de Sébastien Loeb dans l’enceinte du circuit après sa victoire au Rallye de Turquie pour boucler ses 10 tours obligatoires en tant que Rookie du Mans sur une piste humide, achève de donner dans la presse, la vedette aux hommes d’Henri ! Chez Audi, on est beaucoup plus discret. Les R8 ont, sans réelle surprise, perdu 6 secondes par rapport à 2004. Les essais qualificatifs confirment cette tendance. Manu Collard ne reproduit toutefois pas le chrono du 5 juin et se contente d’un 3’34″715 pour décrocher la Pole Position. Soheil Ayari le suit de peu en 3’35″555 et les deux C60 verrouillent la première ligne. Dans le clan Audi, on a quelque peu réduit l’écart et la n°2 aux mains de McNish, n’est distancée que de 3 secondes, s’offrant ainsi le 3ème chrono des qualifs. Les deux autres R8 sont très proches, au milieu de toutes les P1 hybrides, preuve supplémentaire que malgré leur petit déficit de perfo, elles vendront chèrement leur peau.
La suite est à venir demain