Pour conclure cette saga en 5 épisodes consacrée à Henri Pescarolo, nous ne pouvions évidemment pas faire autrement que d’aborder le sujet de son activité de pilote automobile. Répétons à nouveau que nous ne souhaitions pas faire parler Henri sur ce qu’il a déjà abordé mille fois, à la radio, à la télé ou dans les journaux. Nous avons fait appel à sa mémoire, à celle de Madie pour trouver sinon de nouvelles anecdotes inédites, tout au moins quelques histoires qu’il aurait moins souvent abordé avec les médias. Et c’est grâce à une idée de Madie que Henri nous a conté la toute première. Toujours très actuelle, vous le constaterez !
« En 1966, je suis 3ème pilote F3 chez Matra. L’une des caractéristiques de Lagardère, c’est qu’il embauchait les bons pilotes de la concurrence pour ne pas avoir à les battre. On se battait comme des chiffonniers contre Servoz-Gavin donc on l’embauche. On se battait contre Webber donc on l’embauche. Résultat, on était toujours en surnombre dans l’équipe. En 1965, je suis pilote de réserve et je conduis quasiment jamais. Je fais le coursier pour l’équipe, je passe le balais mais j’ai jamais de volant. En 1966, je suis encore derrière Jaussaud et Servoz mais on me trouve quand même une voiture pour faire le GP de Pau. C’est super parce que Pau, c’est quand même une course fabuleuse ! Evidemment, un peu trop optimiste, je décide d’aller rendre visite au Général Foch. Je me pose en haut de sa statue. Résultat, la monocoque est pliée.
Or il y avait une course à Montlhéry la semaine suivante. Là, Jean-Luc Lagardère vient me voir et me dit : “personne ne réparera votre voiture. Les mécanos doivent déjà préparer les deux autres voitures, ils ne toucheront pas à la votre. Si vous voulez courir à Montlhéry, vous vous débrouillez seul !” Donc je prends le break ID de Matra, je mets la F3 sur la remorque et je conduis toute la nuit vers Vélizy.
Le coup du fusil !
Il fallait que je déshabille totalement l’auto pour la faire réparer. Donc je me mets au boulot. Je travaille le jour, la nuit, je la mets à nu. J’emmène la coque chez Bréguet ou les gars acceptent de la réparer. Je la ramène à Vélizy, j’attaque le remontage. Les mécanos étaient embêtés de ne pas pouvoir m’aider mais ils me conseillaient à distance. Après avoir assemblé les porte-moyeux, je fais tourner et ça bloque. J’avais oublié de remettre des cales… Bref, en bossant sans cesse, je parviens à remonter ma voiture juste à temps pour les essais du samedi à Montlhéry. Et là, grève aux « Engins Matra ». Or Matra Sports faisait partie de cette branche. Donc, là, un vieux syndicaliste revendicatif vient me voir et me dis : « écoute, c’est la grève chez Matra. Tu ne sortiras pas la voiture d’ici ! »
Je le regarde droit dans les yeux et je lui dis : « Ecoute moi bien. J’ai reconstruit cette voiture tout seul en bossant jour et nuit. Personne ne m’a donné le moindre coup de main. Donc demain matin je viendrai la chercher. Et j’aurai mon fusil de chasse. Si tu te mets en travers de mon chemin, je te flingue ! Personne ne m’empêchera de sortir la voiture d’ici ! » Le lendemain matin, il n’y avait personne… Je crois qu’il avait compris que le petit jeune ne plaisantait pas ! »
Il faut dire qu’il en faut beaucoup pour faire peur à Henri. « Autant, j’étais timide lorsqu’il s’agissait de pousser la porte du bureau de Jean-Luc Lagardère, contrairement à Beltoise, par exemple, autant, derrière le volant, j’étais un tueur. Un exemple à Montlhéry toujours en 1966, j’étais toujours troisième pilote Matra et je me bagarre avec Roby Weber qui était encore pilote Alpine. On sort du virage du Faye en même temps et on se dirige cote à cote vers la chicane Nord. Cette chicane est bordée de deux rangées de bottes de paille et on passe au milieu. Mais c’est un vrai mur de paille. Il est évident qu’on ne va pas passer à deux. Il faut donc que l’un des deux freine le premier. Bien évidemment, ce n’est pas moi… Je passe comme je peux, en catastrophe. Roby percute le mur de paille et reste là. Après la course, il commence à faire courir le bruit dans tout le paddock que je l’ai sorti et qu’il va venir me casser la figure. Tout le monde me le disait. Il va venir te casser la g…. ! Je leur répondais : “Oui, oui, dites lui que je suis sous la structure Matra et que je l’attends ! Il en fallait vraiment beaucoup pour me faire peur. Il n’est jamais venu… »
Restons chez Matra mais avançons de quelques années et partons à la rencontre de Dame Chance. « En 1973, on gagnait tout avec Gérard Larousse. A Imola cependant, on connaissait quelques difficultés avec le démarreur lors de chaque arrêt aux stands. Pour le dernier relais, je m’installe au volant. Les mécanos finissent le ravitaillement, j’actionne le démarreur et le V12 peine à se relancer. J’essaie plusieurs fois et soudain, boum, il démarre. Donc là, je me dis, maintenant, c’est tranquille, c’est le dernier relais, on va gagner. J’arrive en haut dans la dernière chicane, je sais pas à quoi je pense, je loupe mon freinage, je me sors et je cale le moteur. Là, je me maudis. Il venait de se relancer miraculeusement, j’étais certain que c’était fichu, qu’il n’allait pas repartir et que j’avais foutu notre course en l’air ! Bon… J’actionne le démarreur et il repart sans la moindre hésitation ! Marche arrière, je repars et on gagne la course… » Lorsque la bonne fortune choisit son camp…
Le coup des piquets !
Abordons maintenant le sujet des piquets… Avant l’époque des bacs à graviers, les dégagements au cœur des années 70 étaient constitués de rangées de grillages retenus par des piquets de bois. Cela permettait de ralentir les voitures de manière à peu près efficaces. Mais dangereuse. La preuve en images ! « A Imola encore, mais sur une Alpine cette fois-ci, en 1976, je me sors dans un bac et je me prends un piquet en pleine tête. A partir de là, je ne fais que raconter ce que l’on m’a dit, je n’en ai aucun souvenir ! Je suis sorti seul de ma voiture, suis allé tout seul jusqu’à l’infirmerie, je ne sais même pas par ou je suis passé ! Je n’ai repris réellement conscience de ce qu’il se passait que trois heures plus tard. J’ai un trou de trois heures dans ma vie. » Madie ajoute : « Je t’avais rejoint à l’infirmerie et tu me disais sans cesse : “Mais qu’est ce que tu fais là ? Mais pourquoi tu es là ?”
« Encore les piquets mais cette fois-ci au GP du Canada. Encore une fois, un peu optimiste avec une voiture qui marchait mal, je me sors et je tape à nouveau un piquet en pleine tête. Bon, je sors de la voiture, seul et là, je m’effondre. Tétraplégique ! Plus rien ne fonctionnait ! On me met sur une civière et on m’emmène à l’hôpital à Montréal. Les médecins venaient me voir et me disaient : “Bougez un pied ?”. Je me concentrais et faisait tout ce que je pouvais. Rien ! “Bougez votre main ?” Je faisais un effort colossal mais rien ne bougeait ! Sur le plan mental, c’était très dur… Je suis resté dans cet état pendant plus d’une journée ! Puis, c’est revenu progressivement. Heureusement… »
Le numéro 7 porte-bonheur…
Plus léger, revenons au Mans et au quatrième succès d’Henri en terre sarthoise. Ayant entendu parler que tout ne s’était pas passé au mieux avec le Joest Racing lors de la victoire de 1984, nous avons voulu connaître l’avis directement de la bouche d’Henri. « En 1984, bien qu’étant pilote professionnel et triple vainqueur au Mans, j’étais devenu pilote payant et pour disposer d’une bonne voiture, je devais amener un budget. Heureusement, j’avais le soutien du groupe Moët via James Guillepain. Madie l’a donc incité de m’aider. Or, à cette époque là, le groupe voulait lancer un vin mousseux ciblé grand public. James accepte et donc je contacte Reinhold Joest qui avait un budget presque complet avec NewMan mais pas tout à fait. Donc ça l’intéressait et on décide de faire un diner à Paris pour mettre au point l’accord.
Et là, nous arrivons avec James, reçus comme des cheveux sur la soupe par le représentant de New Man ! C’est tout juste s’il ne nous a pas mis dehors avant qu’on se mette à table ! Il s’engueule avec Reinhold en lui disant : “Moi, je te donne assez d’argent, pourquoi veux-tu mettre un autre nom sur la voiture ? Je n’en veux pas !” Bref, l’horreur … James Guillepain, qui pensait être accueilli correctement puisqu’il proposait un budget me fait signe de partir sur le champ. Mais je n’avais pas d’autre possibilité pour les 24 Heures donc je le calme un peu et nous avons essayé tous les deux d’arrondir un peu les angles et finalement, nous sommes parvenus à calmer un peu le jeu !
Pas la suite, avec l’équipe, ça s’est super bien passé ! Reinhold attendait beaucoup de moi et Klaus Ludwig car il visait clairement la gagne et pour cela, il comptait plus sur la notre que sur la seconde auto. Une fois les problèmes aplanis avec New Man, l’ambiance était vraiment très bonne. Mais ce qui est marrant, c’est que lorsque James Guillepain apprend que nous aurons le numéro 7 en course, il me dit : “on va gagner, c’est mon numéro fétiche !”. Il dit la même chose à tous ses invités au-dessus des stands : “On va gagner ! Avec le 7, on ne peut pas perdre…” Or après le troisième tour, on était déjà aux stands à réparer la pompe à essence ! On perd deux tours, on repart au fond du peloton et tous ses invités se gaussent… Mais finalement, nous n’avons plus eu de gros problème, nous avons pu remonter et nous avons gagné ! »
A propos de cette victoire de 1984, les journalistes ont rapporté que Reinhold avait proposé les services de Stefan Johansson après l’abandon de la n°8 à la mi-course, mais que les deux pilotes titulaires avaient décliné l’offre. Henri avoue ne pas s’en souvenir mais ne s’en déclare pas surpris. « Quand tu as abattu tout le boulot à deux, c’est toujours difficile d’accepter qu’un autre vienne recueillir les lauriers. C’est pourtant ce qu’il m’est arrivé à Daytona en 1991 où nous n’avons quasiment roulé qu’à deux mais gagné à 5 !!! Au départ, nous étions 4 pilotes désignés pour ma voiture : Hurley Haywood, Frank Jelinski qui roulait vraiment bien et John “Winter” qui de toute façon attendrait la dernière heure pour voir quelle voiture du team allait le mieux, en prendrait le volant 10 minutes pour gagner !
Hurley Haywood fait le premier relais. Il s’arrête, sort de l’auto : blocage du dos ! Il rentre à l’hôtel. “Winter” voit que la météo tourne, il rentre dans sa caravane et on ne le revoit plus ! On se fait donc toute la nuit à deux avec Jelinski. On attaque comme des bêtes et le matin, la deuxième voiture casse donc Reinhold Joest nous propose les services de Bob Wollek qui est désormais libre. On accepte avec plaisir parce qu’on commençait à en avoir plein les bras. A moins de deux heures de la fin, Haywood voit que la voiture peut gagner, il revient et demande à faire un relais… “Winter”, voyant que la pluie a cessé, sort de sa caravane et demande à finir la course. Et voilà comment on s’est retrouvé à 5 sur le podium quand on avait quasiment tout fait à deux ! »
Ainsi s’achève cette série d’article consacrée à Henri dans le cadre des 10 ans d’Endurance-Info. Nous remercions à nouveau Henri et Madie, pour ce dimanche à la ferme et pour cette discussion à bâtons rompus. Pour toutes ces anecdotes, toutes ces histoires qui ont donné un relief particulier à nos 10 ans… Pour toutes celles qui nous restent en réserve et qui pourraient ressortir dans 10 ans. Pour les 20 ans !